Mille soleils

EXTRAITS CRITIQUES


«Touki Bouki, le film dont émane Mille soleils, de Mati Diop, est une œuvre à part. Un chef-d'œuvre pour être plus juste, libre et insolent, éclatant de joie et empreint d'une sourde mélancolie, à cheval entre un Bonnie and Clyde teinté d’humour potache et un documentaire de Jean Rouch qu’on aurait trempé dans le bain des couleurs primaires des Godard des années 1960…Sans jamais se déprendre de son ancrage documentaire, le film associe des scènes de rue quasi ethnographiques avec des moments de fiction pure tendant parfois vers le burlesque, renvoyant dos à dos, avec un humour piquant, la veulerie des commères  et la corruption des petits potentats. Avec une liberté merveilleuse, Djibril Diop Mambéty magnifie Dakar et ses alentours, compose avec ses plans des boucles saccadées, hypnotiques, aux accents parfois surréalistes, joue avec la musique, avec cet hymne aux charmes de Paris qu’il relance comme un leitmotiv (« Paris, Paris, Paris…/C’est sur la terre un p’tit coin de paradis »), dont on ne sait pas s'il faut le prendre au premier ou au deuxième degré.

Tranchant avec le pathos et la gravité traditionnellement associés aux représentations de l’Afrique, l’hédonisme, la fière insolence et la joie de vivre de ces deux héros seraient réjouissants s’ils ne traduisaient pas, comme le film le montre aussi, une forme de désinvolture cynique. Peut-on impunément rejoindre le monde des Blancs quand l’Afrique est en train de se vider de son sang ? Cette question que pose le film, et qui colore sa fin d’une touche profondément mélancolique, est le signe de sa grande force politique.»

Isabelle Regnier (Le Monde : 2 avril 2014)


«Le Voyage de la hyène est construit sur l'imbrication d'un traitement réaliste (plusieurs séquences sont tournées sur le vif par Mambety et l'essentiel du film est filmé dans la rue) et d'un traitement onirique et mental. Il n'y a pas de différence de niveau, les deux registres sont mis à égalité, ils se mêlent, s'interrogent, se répondent par des effets de montage quasi expérimentaux. Le film est ainsi très ancré dans la réalité du Sénégal, avec des images des quartiers de Dakar et de la vie de ses habitants que l'on a peu l'habitude de voir. Cet effet documentaire repose aussi sur le jeu très naturel des comédiens. Mambety - qui a pourtant fait ses classes d'acteur sur les planches du Théâtre Sorano - choisissant en effet de faire tourner des non-professionnels qui tous se révèlent parfaits, totalement portés par leurs rôles. La grande force du film est d'ensuite transcender ce matériau réaliste par une mise en scène qui va se déployer autour de l'intériorité des personnages, l'aspect documentaire se trouvant malmené, questionné, transformé par la vision qu'ont Mory et Anta de leur pays.»

Olivier Bitoun (DVDclassik : 4/05/2012)


« Chez Mambety, et particulièrement dans Touki Bouki, le peuple, la jeunesse et l’invention plastique s’entremêlent, l’énergie se traduisant dans une espèce de boulimie qui propulse les personnages vers des horizons sans limite symbolisés par l’océan, ver lequel la plupart des films semble fatalement déboucher. C’est l’autre aspect de la rupture entraînée par Touki Bouki : une célébration des sens qui détonne dans l’époque d’ébullition idéologique et théorique de la sortie du film. Cette légèreté, ce côté pop et sexy, délesté de toute pesanteur, sont restés sans équivalent. » Vincent Malausa (Cahiers du cinéma N° 678 : mai 2012)


« Avec Touki-Bouki, Mambety propulse le cinéma africain dans la modernité. Modernité de la mise en scène et du montage. Mambety rompt avec la linéarité traditionnelle du récit pour imprimer à son film un rythme que certains qualifieront de chaotique ou d'irrationnel. Mais nous sommes dans la danse de la vie avec ses contradictions, ses soubresauts et surtout ses rêves. Car nous sommes ici avant tout dans le rêve de l'ailleurs. Et l'ailleurs commence à notre porte. »  Josiane Scoléri (Films sans frontières : 06/02/2009)


« Souleymane Cissé a déclaré : "L'histoire du Voyage de la hyène est vieille comme le monde : les hommes sont toujours partis en quête de pays étrangers où le temps ne s'arrête jamais. (…) Ce portrait de la société sénégalaise de 1973 n'est pas très différent de la réalité actuelle. Chaque jour au détroit de Gibraltar, des centaines de jeunes Africains perdent la vie en tentant de rejoindre l'Europe. Qui n'en a jamais entendu parler ? Le film de Djibril porte la voix de leur douleur : ces jeunes nomades pensent pouvoir franchir l'immensité de l'océan en suivant une bonne étoile, un rêve de bonheur, mais ne font que rencontrer la cruauté des hommes."  Il est toutefois probable qu'il ne faut pas faire une lecture trop contemporaine de cette analyse. Mory et Anta ne trouvent certes pas leur place dans la société sénégalaise mais c'est pour le rêve et non pour survivre qu'ils veulent quitter Dakar. Touki-Bouki est une analyse de l'imaginaire de la jeunesse plus que de son désespoir économique. Le rêve du paradis parisien semble déjà rance avec la chanson de Joséphine Baker qui date déjà d'une trentaine d'années. La culture américaine au travers du personnage de Tarzan est traitée avec les mêmes connotations de désuétude et d'ironie. Tarzan renvoie à l'image que l'homme blanc se fait de l'homme noir : un sauvage qu'il peut dominer.»

Jean-Luc Lacuve (Le Ciné-club de Caen : 28/04/2014)