Institut Benjamenta_Extraits critiques

LA FABRIQUE DE BENJAMENTA


Institut Benjamenta traite plus du monde de Walser que d’une histoire particulière. Le roman parle de la formation de gens en vue de devenir des serviteurs, des zéros absolus, qui vivent dans des sous-sols. C’est très libérateur, aujourd’hui, quand tout le monde essaie de parvenir au sommet, de penser qu’un type puisse décider de se retirer du monde. Tout en devenant un zéro, on pourrait aussi devenir bien plus.


« On aime bien partir d’un livre pour ensuite abandonner ce qu’il raconte et se concentrer sur son ambiance, ses non-dits. »

            Quand nous avons commencé le scénario de Institut Benjamenta, nous avons décidé de travailler avec un ami, Alain Passes. Ensemble, nous avons abordé le texte de Walser avec beaucoup de liberté, avec une approche lyrique, comme si nous allions tourner un film muet avec de la musique, des effets sonores et quelques intertitres. Walser a toujours tendance à utiliser le monologue. Les personnages échangent très peu de dialogues entre eux, ce qui nous a permis de faire une utilisation fréquente de la voix-off qui, selon nous, contribue à libérer l’image. Tout a toujours été considéré du point de vue de la caméra, de l’image.


« [...] nous avons toujours été attirés par l’expressionnisme allemand et son stimmung, cette idée d’atmosphère totalement originale rendue par une lumière envoûtante et une qualité de clairs obscurs qui semblent comme sculptés dans le bois. »

            Nous pensions que l’Institut lui-même devait être un des personnages principaux. C’était comme si l’Institut était un organisme vivant, respirant, qui envoûte les personnages, comme si sa vie intérieure et ses existences passées exerçaient leur propre malaise. De ce point de vue, le lieu de l’action est moins géographique que spirituel. L’image, la musique et le texte peuvent fonctionner à un niveau lyrique. Les monologues et les voix-off peuvent flotter d’une façon plus impressionniste sur la matière des images. De la sorte, la nature indéfinie du temps et de l’espace permet aux éléments du conte de fées d’apparaître.


            Herr Benjamenta est l’ogre, Lisa la princesse munie de sa baguette de fée. Avec elle, nous voulions l’image féérique du jeune prince qui vient la sauver. On frappe à la porte, Jakob entre dans l’Institut et cette figure mystérieuse va changer la vie de chacun.

            L’Institut était auparavant une usine (on y faisait du parfum à partir de musc). C’est donc comme si les Benjamenta s’étaient établis dans une usine abandonnée.

          En haut, dans les espaces interdits du bâtiment se trouve cette collection avec plein d’objets sur les cerfs. Une collection faite par un fou, totalement à l’abandon, bizarre, avec une fresque anamorphique de cerf en rut. Jakob la découvre lors d’une exploration nocturne. Le spectateur doit ressentir l’image du cerf comme un parfum envahissant de conte de fées qui monte des matelas et de la pierre. Nous avons ajouté ces éléments au texte de Walser afin de faire fonctionner le scénario. Également l’idée du poisson rouge, dans la pièce avec le bocal. Ou le thème du zéro, les habitants étant là pour devenir des zéros dans la vie. Le film en comporte de nombreuses allusions. Nous étions conscients qu’il fallait, pour notre noviciat dans le long-métrage, qu’il y ait un récit. Mais, en même temps, nous voulions garder l’esprit de nos courts métrages, ce côté fable, conte de fées, qui rappelle La Belle au bois dormant. Cela nous a permis, à travers un récit très simple, de continuer à travailler sur plusieurs niveaux. Le calme de la surface - les personnages sont hiératiques - couve des courants souterrains agités.


« Nous pensons que les acteurs ont su assimiler le principe d’inexpressivité du théâtre de marionnettes. »


            Quant au travail avec les comédiens, nous ne les avons pas, contrairement à ce que certains ont pu écrire, traités comme des marionnettes. Au contraire : nous leur avons donné autant de reflets qu’à nos poupées. Bien sûr, on a préparé nos acteurs. On a dit à Mark Rylance, qui joue Jakob, le personnage principal, de regarder les films de Buster Keaton pour s’en inspirer. Il fallait qu’il imagine son visage comme un masque, et c’est ce masque qui doit révéler toutes les tensions du drame, et non d’interminables dialogues dont l’utilisation est parfois une solution de facilité. C’est d’ailleurs pour cette raison que le cinéma muet est si expressif. Le cadre, les mouvements et les gestes y ont une grande force.


« En fait, il fallait qu’ils se rapprochent du langage du ballet plutôt que de celui du cinéma. »


            Nous montons nos films au fur et à mesure du tournage. Autrement dit, nous tournons, apportons les rushes le soir et les récupérons le matin afin de les monter immédiatement. Nous les calons avec la musique et voyons si ça fonctionne. S’il y a un problème technique, nous retournons, et s’il y a un problème conceptuel, nous repensons. »


Manuel Attali, Dossier de Presse

Propos du réalisateur

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