02-03-02-03-Tabou_Extraits critiques

Tabou n'est pas le remake du film homonyme de Murnau. Mais y a-t-il des qualités de ce film muet que vous vouliez retrouver?

Miguel Gomes: Nous avons volé à Murnau le titre d’un film réalisé il y a plus de 80 ans, en priant pour que personne ne s’en souvienne... Murnau représente pour moi le sommet du cinéma. Avec cette histoire d’amour impossible, j’ai tenté de réaliser un long métrage qui ait un rapport avec la mémoire. Pas seulement la mémoire des gens et des sociétés, mais avec un cinéma qui a disparu. Il y a des choses qui n’existent que dans le souvenir... Je ne me prends pas pour Murnau. Mais je cherche à me frayer un chemin pour retrouver un peu de cette innocence, quand il était par exemple encore possible de filmer des nuages en forme d’animaux. Aujourd’hui, le spectateur n’est plus vraiment sensible à cette poésie naïve.


Votre film en deux parties parle de paradis et de paradis perdu. En référence à quoi?

Quelqu’un m’a dit: "Le paradis ne peut exister que dans la mémoire". Le paradis perdu, ce n’est pas l’empire colonial portugais, mais la jeunesse! Le cinéma actuel est un peu comme les vieilles dames de mon film. à plus de 100 ans, il lui manque la splendeur de sa jeunesse, avec un public plus innocent, plus disponible, moins saturé d'images qu'aujourd'hui. à l'âge d'or du cinéma, le public était prêt à croire à des choses incroyables. Le paradis perdu du cinéma, c'est la croyance du spectateur.


Dans quelles conditions avez-vous tourné Tabou?

Après avoir réalisé la partie qui se passe à Lisbonne, nous avons tourné au nord du Mozambique, près du Malawi, pendant cinq semaines. Dans ce pays très pauvre, les traces de la guerre sont très présentes et les déplacements difficiles. Le Tabou de Murnau et Flaherty a été réalisé dans la tension. C'est un film à la fois très maîtrisé et très ouvert au monde, ce que je trouve passionnant comme spectateur et comme cinéaste. J'ai fait de gros efforts pour perdre le contrôle sur le plateau et rester ouvert aux incidents. Nous avons parfois tourné des scènes en détournant la réalité, tout en veillant à ne pas mettre les gens dans des situations embarrassantes. La partie africaine du film n'était pas scénarisée. Nous improvisions tous les jours en brodant sur une ligne générale. Un jour, la production a débarqué sur le tournage pour nous annoncer que nous n'aurions pas l'argent pour des scènes compliquées (un bal de mariage avec des dizaines de couples blancs, des éléphants...). Avec trois membres de l'équipe, je réunissais chaque soir le "comité central": nous passions en revue des séquences possibles pour faire avancer le film le lendemain.

Qu’est-ce qui vous a donné le plus de mal pour trouver le bon équilibre?

J’ai renoncé dès le début à faire un pastiche, c’est-à-dire me contenter de reproduire l’esthétique d’un cinéma muet disparu. Quand on raconte une histoire du passé, comme Ventura dans Tabou, on se souvient d'images, jamais des mots exacts prononcés. La deuxième partie de mon film ne s'apparente pas à du cinéma muet: il y a beaucoup de sons! J'ai surtout enlevé le dialogue, pour renforcer le côté fantomatique de cette partie. J'ai cherché à récupérer la sensation du cinéma muet.


Comment avez-vous travaillé le décalage entre ce qu’on voit et ce qu’on entend?

La voix off fabrique des images qu’on ne voit pas! Elle invente une société que nous n’avions pas les moyens de représenter. Cette voix élargit le champ. Et notre désir de fiction nous aide à croire ce qu’on voit.


L’explorateur du début du film est décrit comme "intrépide par désespoir". On pourrait en dire autant des Portugais qui émigrent aujourd’hui en Afrique...

Il y a une vague d’émigration motivée par le désespoir en effet. Mais c’est une émigration très limitée à une élite de gens diplômés, bien formés, qui choisit plus souvent le Brésil que les anciennes colonies portugaises en Afrique. C’est une tragédie quand, même le Premier ministre conseille à ses propres citoyens d'émigrer! Je juge cela déraisonnable.


Y a-t-il des films qui vous redonnent foi dans le septième art?

Quand j’ai vu Holy Motors, j'ai eu le sentiment que Léos Carax croyait encore possible de fabriquer des personnages avec les moyens du cinéma.


Christian Georges, Dossier de Presse

Propos du réalisateur

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