05-03-Chico & Rita_synopsis

Pouvez-vous m’en dire un peu plus sur votre rencontre avec la musique cubaine et avec le maestro Bebo Valdés, et m’expliquer ce qui vous a attiré dans sa musique et son histoire?

J’avais croisé Bebo plusieurs fois en Espagne et ailleurs au fil des ans, notamment lorsque l’acteur Andy Garcia et Cachao ont commencé à travailler ensemble dans les années 1990 pour son documentaire Cachao… como su ritmo no hay dos. Mais notre vraie rencontre remonte au moment où j'ai proposé à Bebo de jouer avec Cachao dans Calle 54; c’est à cette occasion qu’est née notre longue amitié, doublée d’une collaboration fertile. […] Puis nous sommes allés en Suède, et c’est là que j’ai ressenti ce qui s’apparente presque à un coup de foudre. Je filmais Bebo qui me parlait tout en marchant dans la neige et j’ai eu comme un déclic qui m’a amené plus tard à produire l’album «Arte del Sabor», un trio entre Bebo, Cachao et Carlos «» Valdez (avec la participation de Paquito D’Rivera). C’est là que j’ai réalisé l’importance de réunir ces légendes, en particulier Bebo et Cachao, qui se connaissaient depuis l’enfance; je voulais vraiment immortaliser ces retrouvailles historiques après tant d’années passées à des kilomètres l’un de l’autre (Bebo vivait à Stockholm et Cachao à Miami). Il était de mon devoir de faire connaître la contribution considérable de Bebo à l’histoire de la musique. J’ai produit d’autres albums de Bebo... Pour moi, la décennie 2000-2010 a été celle de Bebo...


Javier Mariscal est parvenu à restituer l’essence de La Havane des années 1940 et 1950, ainsi que celle de New York, à travers des dessins d’une grande beauté, regorgeant de détails et de couleurs éclatantes. On retrouve son «empreinte» visuelle dans beaucoup de vos œuvres. Comment avez-vous rencontré Javier et comment s’explique votre amour partagé pour la culture cubaine?

J’ai toujours eu beaucoup d’admiration pour le travail de Javier, pour ses dessins, ses tableaux, etc… Mais nous ne nous connaissions pas du tout avant de travailler ensemble sur Calle 54. Comme moi, Javier est un «» impénitent, un grand amateur de musique cubaine, de jazz, etc. Ce film a marqué les débuts de notre amitié et de notre collaboration professionnelle. J'ai vu certains des dessins de la Vieille Havane qu'il avait préparés pour un projet et ces images magnifiques m’ont tout de suite inspiré. Et je lui ai dit: «, utilisons tes dessins pour faire un film. On commencerait à La Havane dans les années 1940, on ajouterait l’histoire de Bebo, et cette musique que nous aimons tant…». [Le scénario] ne raconte pas l’histoire d’une personne en particulier, mais celle de Chico, qui symbolise toute une génération de musiciens cubains: ceux qui ont quitté l’île et ceux qui y sont restés; une histoire nourrie à la fois par la «écouverte» de nombre de ces trésors musicaux, comme ceux que l’on peut voir dans Buena Vista Social Club, par la résurrection de la carrière de Cachao par Andy Garcia et par ma propre aventure avec Bebo.


Les compositions de Bebo au piano ainsi que ses arrangements occupent une place de choix dans le film. Avez-vous enregistré beaucoup de nouveaux morceaux pour ce film?

La plupart des morceaux que l’on entend dans Chico & Rita ont été enregistrés ces dernières années entre New York et La Havane et dans une moindre mesure à Madrid pour Bebo... Le choix d'enregistrer autant de nouveaux morceaux m'a semblé vital car je ne voulais pas me contenter de mélanger une série de vieux classiques, au risque de me retrouver au final avec une bande originale qui ressemble à une compilation. Même s’il y a beaucoup de pépites parmi ces anciens enregistrements, je ne voulais pas que la musique ait l’air démodé.

Vous ajoutez à l’histoire personnelle de Chico (inspirée en grande partie par la vie de Bebo) à Cuba et à l’étranger plusieurs pans de l’histoire du jazz et de la musique cubaine, y compris le rôle fascinant qu’ont pu jouer des musiciens comme Chano Pozo, Charlie Parker, Dizzy Gillespie, Nat “King” Cole, Thelonious Monk et bien d’autres.

Notre mission était de trouver des musiciens capables de jouer parfaitement sur la bande originale et d’interpréter les morceaux dans l’esprit et le style des célébrités que l’on croise dans le film…; le défi était donc d'invoquer l'esprit de ces grands personnages historiques tout en permettant aux musiciens de briller. Donc à bien des égards, les musiciens de studio que l'on entend dans le film ont fait un véritable travail d'acteur, en interprétant un personnage autant que la musique elle-même. Nous avons fait appel au saxophoniste cubain Germán Velazco pour jouer Parker, à Michael Phillip Mossman dans le rôle de Dizzy et à Jimmy Heath dans le rôle de Ben Webster. Nat King Cole est interprété par son propre frère Freddy Cole. Pedrito Martínez prête sa voix à Miguelito Valdés et Chano est incarné par le percussionniste cubain Yaroldi Abreu. Évidemment, le plus important pour nous était d'avoir Bebo au piano sur la plupart des morceaux du film et lorsque Chico se met à jouer.


Rita est l’un des personnages les plus sensuels et sulfureux que l’on ait jamais vu dans un film d’animation. Qui vous a inspiré ce personnage de femme forte et comment avez-vous choisi Idania Valdés pour interpréter ses chansons?

Nous ne nous sommes pas basés sur une personne ou une chanteuse de cette période en particulier. Physiquement, il y avait un certain nombre de maniérismes que nous souhaitions restituer. […] J’envisageais pour Rita une voix qui sorte de l’ordinaire, un son différent, plus moderne, pareil à un murmure, comme si elle ne chantait rien que pour vous . Enregistrer en studio avec Idania Valdés (la fille d’Amaldito Valdés, rendu célèbre grâce au Buena Vista Social Club) a été très intéressant car en réalité, sa voix est très puissante mais je voulais qu'elle la contienne en pensant au personnage.


L’animation est effectivement un détail important, avez-vous procédé de la même manière pour le mouvement des danseurs?

Nous voulions nous assurer que les scènes de danse demeurent fidèles à la période des années 1940 et 1950 et montrer la façon de danser des Cubains de l’époque, qui est différente de celle des jeunes générations. Nous sommes donc allés à La Havane et avons consulté un danseur très connu, Ángel Santos mais aussi une troupe de danseurs plus âgés, l’Asociación de Bailarines de Jazz de Santa Amalia (dont les membres ont 70, 80 ans ou plus). Nous avons filmé ces groupes et ces couples en train de danser afin d’avoir un point de référence.


Chico & Rita se distingue aussi par sa manière d'aborder l'impact réel de questions politiques, raciales et socio-économiques.

Notre idée directrice n’a jamais changé: cette histoire devait être un bolero. Comme dans une chanson, cette histoire où un couple se déchire puis se retrouve... Mais sans oublier l'histoire que nous souhaitions raconter: celle de la musique cubaine, de l'évolution de ses musiciens au fil du temps et les nombreux, très nombreux événements qui se sont déroulés non seulement sur l'île mais partout ailleurs.


Annelise Landureau et Clément Rebillat, Dossier de Presse

Propos deFernando Trueba

Extraits critiques