« Les Eclats, tout comme  L’Impossible , est un film qui répond à cette nécessité profonde, propre à chacun, que d'essayer de se re/définir comme individu et être humain, de détruire, re/construire, une relation avec le monde comme avec soi-même. Une urgence qui s'articule avec certaines des réalités les plus cruciales de nos mondes contemporains comme avec celles relevant du passé le plus lointain, enfouies, oubliées, bafouées par l'histoire officielle, collective, et individuelle. Réalités dont il s'agit d'attester, de rendre compte, et vis-à-vis desquelles il s'agit de prendre politiquement position. .

Ce film dialogue avec les précédents (les courts métrages, L’Impossible, Qu’ils reposent en révolte), en poussant peut-être plus avantles partis pris politiques et esthétiques développés dans les autres films. Chaque élément constitutif du film (fragments, images, sons, voix, motifs plastiques.), entre en correspondance et en résonnance les uns avec les autres de façon thématique, musicale et plastique. Le montage a été un véritable travail de tissage avec une mise en évidence de motifs, de fond, de découpes, de clair et d'obscur, un travail sur lenoir et blanc qui est beaucoup plus violent que dans Qu’ils reposent en révolte...


En apparence plus calme et apaisé, le film travaille et rend compte de façon peut-être encore plus violente et crue que dans  Qu’ils reposent en révolte de «l’expérience Calais» comme zone politique d’exception…

Les Eclats(Ma gueule, ma révolte mon nom)  renvoie à la notion de fragment. Notion qui s'oppose à l'idée de totalité, d'un grand tout qui procéderait d'une multiplicité d'objets ou de sujets.  En terme cinématographique, le fragment tel que je l'entends s'oppose au sacro-saint

« grand récit » organique, comme à la multiplicité des

« petits récits égarés » ; et donc pour reprendre un schéma un peu trop commode, s’oppose aux prétentions d’un certain type de documentaire de vouloir embrasser et rendre compte de toute la « vérité » d’un sujet quel qu’il soit, de la totalité d’un monde, comme aux prétentions toutes démiurgiques du cinéma de fiction de pouvoir créer « un » monde, un monde total.

La notion d’éclats traduit donc, modestement, une certaine conception politique et philosophique du monde, et dans le même temps une certaine façon « esthétique » de l’exprimer.

Le sous-titre  Ma gueule, ma révolte, mon nom  est un

« éclat », une citation, unvers que j’ai extrait d’un poème d’un poète que je lis peu, Aimé Césaire, mais qui a signé avec le poème « Prophétie » un texte dont la charge subversive, politique et poétique, entre en correspondance directe avec les thématiques, situations et sujets présents dans le film.

Propos du réalisateur

Poésie et politique sont intrinsèquement liés… Ce qu’on appelle communément le « poétique » ne peut être tout à fait séparé du « politique » ; en ce qu’il relève tout à la fois de manières, de puissances d’être et d’agir politique, comme des modalités d’expression et de traduction de rapports au monde qui, par le jeu avec les images (analogies, métaphores etc.), peuvent aussi bien évidemment participer à la définition d’un langage ou d’une esthétique cinématographique, d’un « cinéma politique ».

Ce cinéma politique, s’oppose à «l’esthétisation du

politique » et ses différentes traductions que seraient « l’esthétisation du réel » ou le fait d’instrumentaliser et de poser sur tels sujets ou tels évènements, un répertoire de formes, de les soumettre à des représentations esthétiques ou politiques conçues à priori etc., comme on peut le voir trop souvent aujourd’hui sur certains sujets relatifs notamment à l’immigration, la pauvreté etc. (il nous faudrait ici parler des nouvelles formes que peut prendre le fascisme, mais aussi de ce fameux « romantisme bourgeois » et des visions misérabilistes et contre-révolutionnaires que celui-ci charrie allégrement…).


Ce « cinéma politique », militant (terme qui effraie aujourd’hui tous les cinéastes, y compris certains cinéastes dits

« d’avant-garde » prétendant faire du cinéma politique et qui en réalité s’adonnent à de pures esthétisations en mythifiant tel mouvement historique et révolutionnaire ou bien encore telle ou telle figure historique cinématographique ou révolutionnaire, et dont l’une des plus intéressantes figures est sans aucun doute aujourd’hui John Gianvito, fait, loin de tout prosélytisme, œuvre de connaissance en travaillant, en dépliant différents niveaux de réalités ; et, dans le même temps, dans l’immédiat, opère une critique des réalités mythiques et majoritaires, prend position, travaille au corps la question de la révolte et de l'insurrection, œuvre et appelle à la transformation, à la destruction radicale et immédiate de politiques mortifères et inacceptables (politiques migratoires…). Il rédime le passé le plus obscur comme le présent le plus dissimulé. Ce « cinéma politique » s’ouvre aux scènes des peuples oubliés. Ce « cinéma politique » est une bombe temporelle.

Jean Vigo, cinéaste dont la teneur politique, anarchiste de son cinéma, a souvent été occultée, ne disait me semble-t-il pas autre chose quand dans « Vers un cinéma social » (il userait aujourd’hui du terme de « politique », le terme « social » étant trop lié aux politiques d’assistanat), il écrivait que le cinéma devait « dessiller les yeux », « révéler la raison cachée d’un geste », extraire d’une personne « sa beauté intérieure ou sa caricature », traiter de certaines situations intolérables qui iraient jusqu’à vous « faire complice de solutions révolutionnaires »


Entretien avec Sylvain George par Eugenio Renzi

Groupement National des cinémas de recherche