On l'appelait Roda_Extraits critiques

Entretien avec Charlotte Silvera, D.P.

Étienne Roda-Gil, ce fut d’abord une rencontre pour une chanson dans un de mes films, ce fut ensuite le partage incessant pendant plusieurs années d’idées, de projets, de balades... Une complicité que je n’ai jamais - à ce point - retrouvée depuis qu’il est parti. Il a voulu rester auteur de chansons sans jamais les interpréter si bien qu’il n’est pas connu du grand public comme l’ont été Gainsbourg, Brel, Barbara ou Ferré. Ou même ses propres interprètes. Quoiqu’il en dise lui-même, Roda était un poète. Et pour sa poésie, sa vision du monde et ses fulgurances, cet homme mérite vraiment le détour aujourd’hui. Mon objectif, ma volonté est de laisser, par le film, une trace pérenne de Roda : on chante Roda-Gil, comme l’on chante Prévert, Aragon ou Queneau. De ces êtres hors du commun, les Catalans n’ont-ils pas fait un « Gaudi » ? Les Italiens un « Leopardi » ? ou encore les Européens un « Salgado » ? Nous aurons un « Roda ». La France peut s’honorer de ce Catalan, fils de Républicains espagnols, qui a choisi sa langue pour créer le ciment des plus compacts pour notre patrimoine qu’est la chanson populaire. Il a fait chanter dans notre langue l’Espagnol Julio Iglesias, comme l’enfant de Brooklyn, Mort Shuman, et écrit des chansons sublimes pour l’Italien Branduardi… Dans On l’appelait Roda, je me suis attachée à tricoter son histoire et son art embrassant entre mes aiguilles... la grande histoire, celle des combats d’Espagne, qui le firent naître d’un couple de Républicains réfugiés, fuyant le franquisme victorieux pour se retrouver dans la France de Vichy et de l’occupation nazie. Et l’histoire de Roda mêlant ses origines à ses engagements qui ont tant inspiré son écriture.

Pour raconter cet homme, j’ai croisé nos interviews que j’avais réalisées en 2003-2004, avec des archives diverses comme ce document de Gilles Deleuze, le philosophe, que « Alexandrie, Alexandra » ne laissait pas indifférent. Les origines de Roda si fondamentales sont largement évoquées, s’appuyant sur des chansons qui les restituent – Julio Iglesias chantant « La frontière », ou Julien Clerc « le cœur volcan », passant par les événements de 68 avec « La cavalerie », dévoilant également qu’il avait écrit sur le 11 septembre, secoué par les attentats qui venaient de toucher Madrid et jusqu’à ce 11 janvier 2015 où « Utile » fut chantée par Julien Clerc lors de la soirée dédiée aux victimes des attentats de Charlie.

« C’est un témoin de notre temps » dit Juliette Greco pour laquelle Roda avait écrit un album extraordinaire, qui gagnerait à figurer sur les play listes « VIVRE DANS L’AVENIR » sur la musique de Gérard Jouannest. Espérons que mon film donne envie d’entendre, de découvrir ou de redécouvrir tous ces titres de Roda. Je fais aussi une place à nos relations, nous montrant dans ses lieux préférés de Paris au gré de nos entretiens où nous abordons le show-business comme la laïcité, le port du voile, l’addiction ou la mort et, bien entendu, les moments historiques qui lui tenaient tant à cœur avec ses grandes figures comme Durruti, Makhno, Leclerc lorsqu’il évoque « la Nueve ». Comme dit Roda avec un rire triste « Mais qui sait ce que c’est ? » et c’était en 2004 ! Alors, en 2018 qu’en penser ? Eh bien justement une œuvre cinématographique est là pour transmettre, éveiller... car ses paroles de 2004 résonnent incroyablement aujourd’hui et interpellent les jeunes générations. Elle nous manque, la parole de Roda, dans ce monde d’amnésie, de retours identitaires et de folies religieuses. On le danse, on le chante pourtant, sans savoir que c’est lui, Roda... Combien de fois n’ai-je pas entendu : « Joe, le taxi, c’est lui ? » ou « Le lac majeur, non ! ? » « Moi qui croyais qu’il n’avait écrit que pour Julien Clerc ! » Aucune de ses chansons n’est le fruit d’un compromis, même lorsqu’elles sont écrites pour des vedettes de show-biz. Elles sont liées, par l’exil, par la quête de la liberté et de l’amour, elles tissent une histoire poétique que je montre par ce film. Ce sont près de 25 chansons que je donne à entendre pour raviver notre mémoire collective. De plus, Roda avait également écrit des livrets d’opéra « 36, Front Populaire », « El Che », stoppé net en 2004 par sa disparition, et « Ça ira » dont Roger Waters a composé la musique et qui ne fut monté malheureusement qu’en 2006 à Poznan. Oui, Roger Waters est dans le film, il a voulu évoquer son immense ami qui lui manque encore aujourd’hui ; c’est à lui que je laisse le dernier mot : « Il y a un flambeau qui doit être porté par les générations à venir, il faut le brandir et essayer d’éclairer les endroits obscurs » comme Étienne Roda-Gil voulait que nous fassions et nous demandait de le faire de tout son souffle durant toute sa vie.

Propos de la réalisatrice

Extraits critiques