Keaton vu par...
Keaton vu par...

1) Comment avez-vous procédé pour l’écriture de cet accompagnement musical ?
La première fois où j’ai visionné Le Mécano, je l’ai fait d’emblée derrière le piano. Comme n’importe quel spectateur en face d’une telle œuvre inédite pour lui, j’ai découvert et réagi aux images, mais je l’ai fait là non par le rire, ou les larmes, mais au travers de l’instrument. Je voulais de cette manière saisir mes réactions immédiates à l’œuvre. Ceci m’a permis d’échafauder les thèmes mélodiques principaux qui sont des leitmotiv dans mon accompagnement (les thèmes de poursuites en locomotives, une série d’accords propres aux apparitions de Buster Keaton...).
Puis, je me suis rapidement aperçue par la suite que je ne pouvais pas traiter toutes les scènes par ce type de travail. D’une part en raison de la richesse évocatrice des images ; lorsque l’image parle totalement d’elle-même, il devient lourd et superflu de souligner de nouveau musicalement ce qu’elle dégage. D’autre part, un certains nombre de scènes sont assez ambiguës quant à leur interprétation, et risquer de suggérer une interprétation plutôt qu’une autre au spectateur, c’est déjà orienter sa pensée, et fausser quelque part son rôle « d’accompagnateur ». J’ai donc dans ces moments là beaucoup observer les seconds plans, les seconds rôles, la structure de l’image pour créer une atmosphère tout en nuances et en délicatesse. Commence avec cela un travail de bien plus longue haleine. Enfin, il y aussi des silences et des points d’orgues qui interviennent non pas là où il n’y rien à dire mais là où tout est dit.

2) Quelles ont été les difficultés majeures rencontrées ?
La plus importante reste la justesse d’expression, dire, sans redire ni faire défaut. Et, durant la projection, la capacité d’être totalement attentif à l’écran, aux moindres nuances rythmiques et visuelles. Il faut préciser que dans un tel type de travail, l’improvisation est une part essentielle et indispensable. Il s’agit de ressusciter des images, et là, la partition ne remplacera jamais la spontanéité et la fidélité de l’improvisation. La concentration est telle que très rares sont les moments durant la projection où l’on regarde ses mains, ou bien le piano, l’attention est constamment dirigée vers l’écran. Enfin, il faut, pour être synchrone avec le déroulement et la rythmique des images, être capable d’anticiper l’image suivante tout en restant juste dans celle que l’on est en train d’accompagner.
  
3) Quelles différences y’a t’il entre ce type d’expériences musicales et d’autres, plus classiques ?
Habituellement, les gens viennent me voir jouer en concert. Ici c’est différent, c’est Buster Keaton qui est sur la scène, et moi qui me trouve du côté du public. La musique est beaucoup moins présentative et beaucoup plus sujette à être modifiée par les réactions du public auxquelles on prend complètement part. Les deux séances de projection ont été toutes deux différentes car le public était différent. C’est cela qui, allié à la grande part d’improvisation, fait de ce type d’accompagnements musicaux, des œuvres éphémères. Le caractère unique de chaque représentation, quand on joue comme cela « in vivo » face à l’écran.

  
4) A t’on un parcours musical « classique» pour faire ce type d’accompagnement ? 

On peut partir de tout pour en arriver à ce genre de travail mais pas d’un parcours musical classique. On est justement à l’opposé je pense. Ce qui me permet de réaliser ce type de travail aujourd’hui, c’est un « faux départ ». Ce faux départ, c’est un autodidactisme qui n’était pas choisi au départ : j’ai appris le piano seule dès l’âge de treize ans. En huit ans, j’ai donc forgé un rapport particulier avec l’instrument dû au fait que ma découverte de la musique et du piano n’a au départ pas été régie par des codes. J’ai du développer des techniques précises qui correspondent à une communication directe avec l’instrument et qui font de l’improvisation un véritable jeu et un art naturel à part entière pour moi. Mon entrée à l’Institut International Supérieur de Chant Lyrique il y a 2 ans m’a amenée à toucher aux hautes sphères de la musique classique, et là il n’y a pas de place pour l’improvisation. Je suis donc entrée à l’Ecole Nationale de Musique d’Auxerre pour approfondir mes connaissances en théorie musicale, apprendre les techniques pianistiques de la musique classique qui sont très pointues et demandent un travail énorme sur partitions. Au final, apprendre à mettre des codes là où il n’y avait que l’instinct. C’est très intéressant dans ce sens, mais dans l’autre, installer du naturel sur des codes, je pense que ça aurait été impossible !

Le Mécano de la "General"
Séance du 15 décembre 2006

      Elizabeth Ramos Gonçalves, jeune compositrice et pianiste, a bien voulu répondre à nos questions, suite à l’accompagnement piano qu’elle a réalisé pour notre projection du « Mécano de la General » de Buster Keaton.