Docteur Jerry et Mister Love_Extraits critiques

Enfant exubérant, Jerry Lewis (de son vrai nom Joseph Levitch) cultive très tôt son potentiel comique. A l'âge de 15 ans il monte un numéro comique basé sur le mime et l'imitation. Cinq ans plus tard, en 1946 il se retrouve sur scène avec le chanteur à succès Dean Martin ; ce sera le début d'un tandem mythique au cinéma, à la télévision et à la radio.

La place de chacun des deux acteurs est clairement définie : Dean Martin est le charmeur et Jerry Lewis le pitre farceur. Mais dans Mon amie Irma (George Marshall, 1949) et Le soldat récalcitrant (Hal Walker, 1950) Jerry Lewis est avant tout le faire-valoir de son partenaire. Au cours des seize films qu'ils tournent ensemble, ils réalisent leurs meilleures performances sous la direction de Frank Tashlin ; dans Artistes et modèles (1955), Jerry Lewis prend le pas sur Dean Martin et après Un vrai cinglé de cinéma (1956), où l'acteur incarne un homme rendu fou par le rêve hollywoodien, le duo se sépare et Lewis se lance dans une carrière solo.

Dès Le délinquant involontaire (Don McGuire, 1956) l'acteur est salué comme l'anti-James Dean. Le comique de Lewis y est un moyen détourné d'analyse du phénomène de la délinquance.

Après six autres films, Jerry Lewis passe derrière la caméra en 1960 afin de se diriger lui-même. Sa première réalisation est Le dingue du palace, où il incarne un groom maladroit dont chaque action entraîne une série de catastrophes. Le film révèle un artiste doué d'un sens exigeant de l'espace. Son œuvre personnelle repose sur un dédoublement permanent, en témoignent des films tels que Docteur Jerry et Mr. Love (1962), variation sur le thème de Docteur Jekyll et Mr. Hyde, et Jerry souffre-douleur (1964), film miroir dans lequel il parodie son propre personnage. Avec Les tontons farceurs (1965), le dédoublement tourne à l'emphase : Jerry Lewis incarne sept personnages différents dans des séquences indépendantes les unes des autres.

 En 1965, il quitte la Paramount pour la Columbia et essaie de changer de personnage. Il s'inspire de comédies boulevardières bâties sur le système du quiproquo comme pour Trois sur un sofa (1965), sans grand succès. Grand admirateur de Charlie Chaplin, il lui rend hommage avec Ya, ya, mon général (1970), directement inspiré du Dictateur. Sa renommée est internationale, la critique française l'apprécie particulièrement et contribue à faire connaître une œuvre bien plus réfléchie et profonde qu'elle n'y paraît.

 Après une longue absence de dix ans pour des raisons de santé, il revient avec Au boulot, Jerry ! (1980), l'histoire d'un clown au chômage, film à gags qui renoue avec ses réussites des années 1960. Sa dernière grande réalisation et interprétation sera T'es fou Jerry (1982) où le cinéaste se livre à une satire de la société américaine qui ne jure plus que par la psychanalyse. La même année, dans un registre dramatique à contre-emploi, il se laisse diriger par Scorsese dans La valse des pantins (1982). Agé, Jerry Lewis joue alors beaucoup moins. Kusturica lui offre un rôle dans Arizona dream en 1992 mais l'acteur n'a plus jamais été tête d'affiche.
Si son comique grimacier tiré de la tradition burlesque américaine peut en agacer certains, qui n'y verront que répétitions ou variations sans réelles nuances, Jerry Lewis reste cependant un artiste légendaire, remarquable inventeur de gags dont l'influence est évidente sur de nombreux acteurs.

BIFI- La Cinémathèque française.


JERRY LEWIS

«Tout ce que je fais finalement, c’est tendre un miroir aux gens et me montrer dans des situations où ils peuvent se sentir supérieurs».

SYNOPSIS


Le professeur Kelp est un professeur de chimie, très maladroit. Ses cours sont plus distrayants qu'instructifs. Secrètement, il prépare un élixir grâce auquel il se transforme en crooner séduisant, sûr de lui, répondant au nom de Buddy Love. Ce double n'a pas la gentillesse, ni les bonnes manières du professeur. Très vite, ce dernier a du mal à le maîtriser.

____________________


«Il a suffi de cinq films pour faire apparaître, sous les grimaces du clown Jerry Lewis, sous le masque des rires, un autre visage, plus étonnant encore, une seconde personnalité dont on ne sait plus désormais si ce n’était pas, en fait, la première : celle du cinéaste, l’un des plus grands. Acteur, metteur en scène, voici que les deux faces de Lewis  renvoient l’une  à l’autre, ne se laissent distinguer que pour mieux manifester leur liaison, leur concours. Mais, si l’homme de spectacle et l’homme de cinéma (ce n’est pas forcément la même chose) sont associés chez Lewis d’exemplaire manière, ce n’est pourtant pas sans quelque drame (on sait bien quels gouffres découvre le rire), sans que soient affrontés, mis au jour, élucidés peut-être certains  problèmes et un certain mystère : celui du cinéma, qui est au centre de chacun des films de Lewis et qui leur donne tout leur poids : le rapport vertigineux entre acteur, personnage, homme et artiste, entre la création et sa chose, entre la salle et l’écran, entre le cinéma et son double, la vie. Jerry Lewis, à la fois créateur d’un univers et son moteur universel, nous propose, à sa façon insistante, obsédante, et plus angoissante à mesure que plus assurée, une réflexion agissante sur les pouvoirs du cinéma, sur les magies de l’image et de ses reflets en nous.»

 

Cahiers du cinéma N° 160

(novembre 1964)