Le paradis des betes_extraits critiques

Cependant, à maintes reprises, cet univers aux couleurs chatoyantes s’assombrit pour céder le pas à un théâtre d’ombres qui se referme sur les enfants, pour mieux les encercler. Le conte est encore là : expression enfantine d’angoisses sourdes et primaires, de celles qui nous construisent. La maison d’Annecy et l’hôtel en Suisse ne sont que des cages dorées aussi effrayantes que la maison de pain d’épice du conte de Grimm. Quant aux adultes, ils sont souvent vus comme des êtres fantasmés, au milieu desquels le père se dresse telle une figure de proue.

La montagne joue un rôle essentiel dans le film…

La montagne, les décors en général, sont pour moi capitaux. Je les ressens comme des personnages à part entière. La montagne illustre parfaitement la dualité propre au film : c’est à la fois un décor féérique et une source d’isolement total, un véritable étau. A l’image du père - séduisant, charismatique, et la seconde suivante, terrifiant - la montagne est magnifique et dangereuse.

On devine aussi beaucoup de soin dans votre traitement de la lumière…

Avec mon chef opérateur, nous avons beaucoup travaillé à partir de reproductions de tableaux et de photographies. En évoquant le conte, il n’y a pas lieu pour moi de basculer vers un onirisme naïf. Je voulais donner à voir un étrange monde hyperréaliste où les comportements sociétaux sont mis en exergue.


Parmi les scènes les plus réalistes du film, on est particulièrement marqué par la brutalité des explosions de violence : comment avez-vous abordé ces scènes, que l’on devine délicates à tourner ?

Je voulais regarder frontalement cette violence. Les acteurs que j’avais choisis partageaient ce désir. Courageux, ils ont affronté la « bête ». Au vu de notre budget limité, le temps s’est révélé notre principal ennemi : il a par exemple fallu tourner la scène de la cuisine en un plan unique et une prise unique. Tout reposait donc sur l’engagement des comédiens. Nous étions en confiance. Ils savaient que je comprenais leur peur, grâce à mes expériences de comédienne. Nous ne désirions pas intellectualiser ces situations douloureuses. Je les avais choisis car j’avais senti chez eux une part animale, quelque chose d’instinctif.


Dossier de presse (Extraits)

On vous connaît en tant que comédienne : qu’est-ce qui vous a poussé à réaliser votre premier long métrage ?

La réalisation de courts métrages et de documentaires m’a donné envie de me confronter à un récit fictionné long. Depuis toujours, j’ai eu envie de raconter des histoires. En devenant comédienne, j’ai découvert comment on fabriquait des films. Cet artisanat qui peut parfois se voir qualifier « d’industrie » m’a fasciné. Sur les plateaux, il y a comme une magie : celle qui consiste à recréer des mondes. Le Paradis des bêtes m’habitait depuis longtemps. J’avais d’ailleurs déjà abordé la violence familiale dans mon court métrage, Notre Père.


Qu’est-ce qui vous tenait à cœur dans le traitement de ce sujet douloureux ?

Appartenant à une génération massivement confrontée au divorce, je voulais rendre le point de vue de l’enfant pris au cœur de cette tourmente. Ici, ils sont deux. Quels rôles vont-ils y jouer ? Comment aimer ses parents quand l’amour qui unit ces derniers est devenu imperceptible et que la tendresse a revêtu un masque de chaos ? Comment aimer l’un sans trahir l’autre ? En effet, les enfants sont souvent confrontés à de douloureux choix de Sophie inversés. Je voulais tenter de répondre à ces interrogations en réalisant un conte réaliste.


Qu’entendez vous par conte réaliste?

Réaliste parce qu’il envisage une famille dans un moment critique, dans les affres d’une séparation. Il me fallait décortiquer les derniers instants d’une famille avant son implosion et puis aller avec elle jusqu’au bout : au point de non retour. Réaliste aussi, parce que cette histoire s’inscrit dans un milieu social précis : celui de commerçants provinciaux. Je voulais dépeindre ce milieu où les humanités étouffent. Je voulais donner à voir les sentiments qui (dés)unissent les membres de cette famille, laisser apparaître le mal-être de ceux qui font souffrir, comme de ceux qui souffrent. Ne pas porter de jugement car il est avant tout question d’amour. Mais le film est également un conte parce qu’il porte en lui une part importante de fantaisie liée aux personnalités des enfants, et plus particulièrement à celle de Clarisse. Il s’articule autour de ce qui attire le regard de la petite fille : spectacles, tours de magie, façonnage de créatures imaginaires, ombres chinoises, jeux, etc. qui sont autant de moments ludiques, drôles, comme autant de bouffées d’oxygène.

Estelle Larrivaz : Propos de la réalisatrice