Michael Kohlhaas_Extraits critiques
L'institutrice_Extraits critiques

Michael Kohlhaas est une histoire inscrite dans son temps, la Renaissance.

L’histoire se déroule au XVIème siècle, à la croisée de deux époques. Dans les campagnes, une petite aristocratie appauvrie dispose encore de prérogati-ves féodales héritées du Moyen-âge. Dans les vil-les, un nouveau monde se développe, au sein du-quel des bourgeois éduqués manquent encore d’un véritable poids politique. Trois principales figures s’affrontent. Celle, féodale, déjà spectrale, du jeune baron, cause de l’injustice. Celle du marchand Kohlhaas, futur citoyen de droit, victime d’injustice et capable d’une révolte dont la limite sera l’indivi-dualisme. Enfin, préfigurant le révolutionnaire, cel-le du jeune valet Jérémie, porteur des utopies de liberté et de bonheur des révoltes paysannes en France et en Allemagne des années 1520-1530.


Cette histoire a de fortes résonances dans le monde d’aujourd’hui…

Michael Kohlhaas témoigne d’une formidable in-tuition de notre monde contemporain : comment un marchand respecté, mari aimant, père attentif, de-vient-il un véritable fanatique, pur corps porteur d’idée fixe ? Quelle puissance de mort se met sou-dain à l’oeuvre chez ce paisible commerçant d’il y a cinq siècles ? Il y a dans ces questions, malheureu-sement, l’essentiel de nos inquiétudes politiques pour le monde d’aujourd’hui.


Michael Kohlhaas est-il un révolutionnaire ?

Victime d’une injustice, Kohlhaas réclame son droit mais la société ne s’acquitte pas de son devoir envers lui. Il s’en déclare alors brutalement l’enne-mi et choisit la violence, avec pour guide moral un sens de la justice affuté comme une lame. Kohlhaas entraîne sa troupe dans des actions brutales, sans stratégie politique. Obtenir réparation devient pour lui plus important que la vie. La sienne ou celle des autres. Sa cause est individuelle. Kohlhaas n’est pas un révolutionnaire.


Quel regard portez-vous sur la violence dans votre film ?

Le romantisme de Kleist s’exprime dans une fasci-nation pour la violence des personnages et des si-tuations. Massacres, pillages, exécutions, se dérou-lent dans la nouvelle un peu comme il est courant de les représenter de nos jours dans le cinéma spec-taculaire, où la violence est toujours enfiévrée, pri-se dans le vertige d’un certain lyrisme.

L’incendie, l’explosion, étant à mon sens le symptôme par excellence de cette idéalisation, de cette spiritualisa-tion de la violence. J’ai préféré un traitement froid de la violence. Montrer qu’on a peur, qu’on a mal, qu’on a peur d’avoir mal, que ceux qui attaquent ont aussi peur que ceux qui sont attaqués. Rendre à la violence sa laideur véritable, en un siècle où il était difficile de soigner et im-possible de soulager.


Michael Kohlhaas est un film historique. Comment en avez-vous abordé les codes ?

Les films historiques sont souvent frappés d’une sorte de raideur académique. Parce qu’ils coûtent plus cher qu’un film contemporain mais aussi parce qu’un fantasme assez répandu voudrait qu’un film historique, appelé aussi

« film en costumes », soit plus beau, parce que plus plasti-que, qu’un film contemporain. J’ai souhaité que le travail des décors et des costumes soit discret, presque invisible. De l’ordre de l’évocation plus que de la fidèle reconstitu-tion. Ainsi, pour que la représentation d’un coin d’Europe au XVIème siècle soit vraie, vivante, qu’elle nous touche par la qualité des êtres et de leurs sentiments plus que par la beauté des costumes et des décors dans lesquels ils évo-luent, j’ai voulu que l’image et le son du film soient peu sophistiqués. Que le film respire au présent. Comme un documentaire au XVIème siècle.


Les choix d’image sont forts. Comment avez-vous tra-vaillé avec Jeanne Lapoirie ?

Là encore, un ensemble de choix, presque toujours dictés par l’économie budgétaire mais dont je savais qu’ils nous emmenaient vers une réelle économie de la mise en scène. Nous étions légers : presque pas de machinerie, peu de projecteurs. En regardant Les Sept Samouraïs, nous avions été frappés par l’emploi sec et dynamique du pano-ramique chez Kurosawa. Nous en avons fait la figure principale de notre film. Pour le reste, nous nous sommes efforcés de tourner aux meilleures heures du jour : aube, crépuscule, chien et loup. Quand on travaille en lumière naturelle, la qualité première est de composer avec le temps qu’il fait. Il est aussi important de ne pas trop cher-cher à « maîtriser ». Une ombre, un reflet, une fausse tein-te, sont souvent des accidents miraculeux. Jeanne et moi aimions laisser agir le hasard. Le soleil, les nuages, le vent, la brume gagnent à être traités comme de véritables acteurs de la mise en scène.

Dossier de presse

Entretien (extraits) réalisé aux Films du Losange (avril 2013)

PROPOS DU RÉALISATEUR