Les trois soeurs du Yunnan_Extraits critique
L

SYNOPSIS


Ils sont au travail. Les salariés d’une usine qui produit 800.000 pièces d’automobile par jour et le compositeur Nicolas Frize dont la création musicale s’invente au cœur des ateliers. Chacun à sa manière, ils disent leur travail. Chacun à sa manière, ils posent la question : alors, c’est quoi le travail ?


EDITO

 

Par Luc Joulé et Sébastien Jousse

 

« Film après film, notre recherche cinématographique semble nous ramener à cette obstination de plus en plus affirmée : filmer le travail vivant.

A travers cet acte de donner à regarder et écouter le travail en train de se faire -ici, la production d’une usine d’emboutissage et la création musicale d’un compositeur–  nous cherchons à rendre sensible une lutte, qu’individus travaillant ou aspirant à l’être, nous partageons tous. Une lutte authentique, plus ou moins consciente, qui nous pousse à toujours vouloir mettre de nous-mêmes dans le travail. Aussi rébarbatif soit-il.

Une obstination très humaine, qui ne se résume pas à faire bien son travail ou à chercher à s’y sentir bien. Plutôt une inclination naturelle à faire les choses à notre façon, à trouver nos espaces de liberté, même dans les tâches les plus prescrites, d’investir la part de soi qui donne du sens. Au travail, au-delà d’y « gagner sa vie », nous voulons d’abord exister. Sans ce périmètre intime et « intouchable », le travail n’est plus alors qu’une coquille vide, un moyen de subsistance mortifère, un temps hors du temps, moment de vie hors de la vie.

Film après film, nous constatons une organisation du travail qui nie délibérément cette part vivante. Une fiction totalitaire qui, sous couvert de rationalité et d’impératifs de production, vide le travail de sa substance véritable. Aucune catégorie professionnelle n’y échappe.


La grande question du film, il me semble, est précisément celle-là : qu’est-ce qui reste de la personne lorsque le travail ne lui laisse aucune place ? Quels sont les mécanismes humains de résistance qui se mettent en route ? S. Jousse 

Luc JOULE et Sébastien JOUSSE

Luc Joulé et Sébastien Jousse se rencontrent au département cinéma de l’université Paris VIII Saint Denis au début des années 90. Par la suite, chacun poursuit sa propre route. Assistanat et communication dans les collectivités pour Luc Joulé ; réalisation de courts métrages et de films institutionnels pour Sébastien Jousse.

Ils se retrouvent début 2000 pour la réalisation du film documentaire Les Réquisitions de Marseille – mesure provisoire consacré à la plus importante expérience de gestion ouvrière en France. Le film ouvre une exploration cinématographique de la question du travail.

En 2010, le long-métrage documentaire Cheminots s’intéresse à la culture du travail et à son bouleversement dans le quotidien de l’activité de celles et ceux qui « font le train ». Le nouveau long-métrage documentaire, C’est quoi ce travail ? suit la rencontre de deux « travails », celui d’un artiste et celui de la production industrielle. Il questionne la dimension vivante du travail.


En nous focalisant sur cette lutte, nous ne cherchons pas à éluder d’autres combats. Pendant les trois années de notre séjour, nous avons beaucoup discuté avec les salariés de l’usine. Malgré leurs efforts, les concessions, les résistances, leur inquiétude est grande sur la pérennité de l’activité.

Cette réalité sociale transparaît au fil des témoignages du film, mais elle n’en est pas le sujet. Pas plus que les difficultés pourtant réelles et quotidiennes de Nicolas Frize à faire vivre sa structure de création artistique. Le travail ne va pas de soi dans les usines. Pas plus que dans la musique contemporaine ou le cinéma documentaire de création.

Alors pourquoi s’obstiner à filmer le travail vivant, alors que sa mise à mal semble partout à l’œuvre ?

Comme Italo Calvino qui cherche « au milieu de l’enfer ce qui n’est pas l’enfer », nous pensons qu’en filmant, en disant, en écrivant, en chantant le travail vivant, en le discutant publiquement, nous le rendons peut être, plus difficile à tuer, nous offrant même l’opportunité de le réinventer.

C’est en tout cas, l’occasion de se réapproprier collectivement cette part de nous-mêmes qu’est le travail vivant et d’y trouver, parfois de manière inattendue, une culture partagée.

C’est pourquoi nous voulons donner à la sortie du film dans les salles de cinéma, la dimension d’un acte culturel, le point de départ d’une rencontre, d’une nouvelle parole plurielle et commune. Une parole vivante. »

(Dossier de presse)