Casa grande_Extraits critiques

Interview accordée à PORTAL Forum par Felippe Barbosa (28/04/2015)


Fórum – Casa Grande est apparu comme un film sur l’adolescence, sur les transformations d’un garçon. Quand avez-vous réalisé que l’œuvre pourrait aller au-delà de la découverte du monde par un adolescent et déboucher sur un portrait critique des relations sociales ?

Fellipe Barbosa – Les choses arrivent presque simultanément. D’abord, j’ai écrit ce scénario en me demandant comment serait ma vie si j’avais été présent au Brésil à l’âge de 17 ans, quand ma famille entra dans une crise financière. J’ai pensé à l’histoire du mûrissement, de la formation de l’adolescent, parce que c’est le moment du bac, le moment de décider de son avenir. Il y a toute une pression sur lui dont il voudrait justement se libérer. Je crois que la question de la critique sociale est plutôt venue parce que j’ai été touché par la discussion sur les quotas. J’étais à New York, à Harvey, dans un lieu où j’avais la pleine conscience d’appartenir à une minorité ethnique et ce fut spécialement choquant, en étant là-bas, d’entendre les informations sur cette discussion au sujet des quotas qui commençaient à être expérimentés au Brésil, en 2006. Il était tellement clair à mes yeux que quelque chose devait être fait en ce sens, l’introduction de quotas, par exemple, que c’est alors que j’ai pensé à l’utiliser en trame de fond pour le film. Dans cette histoire de garçon terminant le lycée et se préparant au bac, avec une famille allant à la faillite, les quotas apparaissent comme une menace qui vient de l’extérieur. Mais la question essentielle est que je voulais transformer la crise du protagoniste en une opportunité pour lui. Je crois que cela est très social, car ce qui existe, c’est la confrontation à cette idée, selon laquelle, l’argent fait le bonheur.


Fórum – Quelle fut votre intention avec la scène qui ouvre le film, le plan qui montre la maison au fond et le père du protagoniste sortant de la piscine et éteignant les lumières ?

Barbosa – Je voulais, premièrement, que ce soit une ouverture très forte et belle. J’adore les classiques du cinéma, les plus anciens, ceux des années 50 et 60 ; on en faisait beaucoup. Mais je voulais que ce soit, avant tout, une ouverture qui mérite le titre, à partir de laquelle personne n’irait plus me demander pourquoi j’ai eu l’audace et la prétention de donner ce titre au film. Je trouve que le premier plan coupe court à cette critique, c’est la dimension élaborée d’une maison véritablement très grande. Alors cette scène a beaucoup de fonctions, en premier lieu, celle de décrire la maison. En second lieu, d’établir un certain genre d’humour, avec la caméra détachée de l’action, observant de loin et exigeant beaucoup d’attention de la part du spectateur. C’est un plan qui affirme également que toute la musique du film va être présente dans la scène, ce n’est pas une bande sonore.

Fórum – Vous croyez que l’un des plus grands problèmes du Brésil d’aujourd’hui, est le maintien de cette relation maître et esclave ?

Barbosa – Je ne crois pas que ce soit un problème, mais une particularité et il y a beaucoup de bonnes choses en elle. Cette possibilité d’affect, ce rapport que je trouve justement très beau. Finalement, le film essaie de montrer que plus cette maison change, plus elle paraît la même. Je crois que le problème du moment dont nous parlons est la grande intolérance envers l’autre, le manque de compassion, c’est ce que je perçois le plus. Une intolérance totale et absolue avec des points de vue contraires. [...]

Fórum – Comment cela apparaît-il dans le film ?

Barbosa – Je ne sais pas, peut-être que mon film possède la semence de cette polarisation. Parce que je préfère mettre en scène la discussion et la polarisation, plutôt que de tenter de faire passer un message au public indiquant quelle serait la bonne idée entre les différents points de vue.

Fórum – La scène où Luiza, la petite amie de Jean, discute avec son père sur les quotas est une scène qui contient clairement cette polarisation…

Barbosa – C’est une scène avec de multiples couches. D’abord, avec beaucoup de théâtralité. Les deux côtés jouent ici au théâtre, en répétant les opinions déjà mises en scène. Aucun d’eux ne souhaite être réellement convaincu. Malgré moi et même si le discours du film prend position en faveur de Luiza, je trouve qu’elle l’aborde de manière très violente. Vous ne savez pas si l’opinion de Hugo, le père de Jean, est réactionnaire ou s’il est simplement d’accord avec son créancier. Et Jean doit se positionner entre les deux partis. Le film parle de cela ; Jean est forcé de prendre une position, et il n’y arrive pas. Cette scène a cette volonté, justement, de théâtraliser une discussion que l’on entend à tous les déjeuners de famille.

Fórum – Il y a une scène ou l’employée de maison, met en évidence une crise de valeurs dans la famille. Vous voyez une crise de valeurs dans les relations familiales ou sociales aujourd’hui au Brésil ?

Barbosa – La crise de valeurs dont je parle ici est le mensonge, cette farce que la famille construit, avec le désir de maintenir les apparences. Je crois qu’il y a beaucoup de cela au Brésil, sans aucun doute, c’est un pays avec une mobilité sociale très difficile, aussi bien vers le haut que vers le bas. Il est très difficile au riche d’arrêter d’être riche, d’arrêter d’être le patron. Même perdant de l’argent, il se donne les moyens de maintenir une même posture. Je ne sais pas si cela représente une crise de valeurs, cependant, cela semble plus être une particularité même.

Fórum – Beaucoup de personnes comparent votre film au film Les Bruits de Recife, de Kleber Mendonça Filho. Etablissez-vous quelque parallèle entre les deux œuvres ?

Casa Grande est plus classique, c’est une histoire sur le mûrissement, un roman d’initiation.

Propos du réalisateur

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