Dérière la colline _Extraits critiques
Dérière la colline _Extraits critiques

Propos du réalisateur

Interview donnée à Mathilde Blottière, Telerama (03/04/2013)


Quel a été votre parcours avant de réaliser ce premier film ?


Je n'ai pas étudié le cinéma mais l'économie. Puis j'ai fait une thèse en histoire contemporaine. Le cinéma a pourtant toujours été là, dans un coin de ma tête. Mais dans la Turquie des années 90, c'était irréaliste d'imaginer en faire son métier : il n'existait pas encore de système de financement public et réaliser un film d'art et essai tenait de la mission impossible. Du coup, adolescent, je misais plutôt sur le théâtre. Sans savoir vraiment comment se matérialiserait mon désir de fiction, je ne m'imaginais pas travailler ailleurs que dans un environnement artistique.

À l'université, j'étais tout le temps fourré au ciné-club et parmi les gens que je fréquentais, beaucoup travaillaient de près ou de loin dans l'industrie du film. Dans mon coin, j'écrivais des scénarios, des critiques, je prenais de notes. Et puis, au début des années 2000, quand la situation a commencé à s'améliorer pour le cinéma turc, j'ai réalisé deux courts métrages.


Un film qui vous a donné envie de faire du cinéma ?


Le Temps de Gitans, de Kusturica, a été pour moi une révélation. C'est en le voyant, à 18 ans, que j'ai vraiment pris conscience des pouvoirs magiques du cinéma.


Un premier film est-il forcément autobiographique ?


Pas nécessairement, la preuve. Bien sûr, mon film comporte quelques éléments personnels : le lieu de tournage se situe dans une zone montagneuse en Anatolie centrale, non loin du village de mon enfance et mes personnages sont plus ou moins inspirés de figures locales mais c'est à peu près tout. Je me suis plutôt attaché au potentiel allégorique du sujet : quelles résonances ce drame familial peut-il avoir dans la Turquie d'aujourd'hui ?

À la réflexion, c'est vrai que les premiers films sont très souvent autobiographiques... Serais-je une exception ? J'ai deux ou trois scénarios prêts à être tournés mais aucun d'entre eux ne raconte ma vie…

  

Des surprises, bonnes ou mauvaises, dans la fabrication d'un premier film ?


Les contraintes de temps, à tous les sens du terme, étaient très oppressantes : nous n'avions que trois semaines pour tourner, et l'univers du film n'était compatible qu'avec un ciel invariablement bleu. Côté météo, nous avons eu de la chance. Quant à la brièveté du tournage, elle a engendré une incroyable exaltation. Nous vivions tout de manière intense et concentré. Il me fallait trouver des solutions tout le temps. Ruser avec le temps et les moyens manquants. Le pire a sans doute été de diriger le chien. Il n'avait rien de ces créatures dociles dressées pour le cinéma – trop cher pour nous. Il appartenait à l'un des comédiens du film, berger dans la vraie vie, et refusait obstinément d'aboyer. Au moment où ça commençait à devenir critique, il s'est enfin décidé.


Derrière la colline est-il le film dont vous aviez rêvé ?


Oui, je dirais que le film correspond à ce que j'avais imaginé et voulu. Comme je savais que je ne pourrai pas me payer le luxe de l'improvisation, tout était très écrit : des dialogues aux cadrages.


Votre film peut être vu comme une parabole de la xénophobie... ?


Oui. En l'occurrence, je me suis directement inspirée du climat politique turc : les nomades du film pourraient être les kurdes chez nous. Mais cette imagination galopante qui nous conduit à voir le danger partout autour de nous, est hélas universelle. La paranoïa, la suspicion, la culpabilité mal assumée sont de redoutables ennemis intérieurs... C'est d'ailleurs assez fascinant de remarquer que les endroits où les gens votent le plus pour l'extrême droite sont souvent ceux où il y a le moins d'immigrés.


Une image qui a signé votre acte de naissance en tant que cinéaste ?


Je n'ai pas beaucoup de recul mais quand même, lorsque j'ai vu le plan où l'on voit la tête de l'un des personnages émerger de la rivière, j'étais assez fier de moi. J'aime aussi beaucoup l'image finale, très western, où l'on voit la petite tribu gravir la colline et leurs silhouettes se découper telles des ombres chinoises sur l'horizon embrasé.