L'incinérateur de cadavres_Extraits critiques

Festival d’Avoriaz, Le portrait de la semaine : Juraj HERZ

À Avoriaz, un film vieux de vingt ans et tenu tout ce temps sous le boisseau de la censure a fait l’unanimité : l’Incinérateur de cadavres de Juraj Herz, qui sort également à Paris. Une revanche pour celui qui fut l’un des cinéastes tchèques les plus originaux du Printemps de Prague. Après l’invasion de son pays, en 1968, et le manteau de nuit qui recouvre toute création personnelle, Herz accepte de tourner bon an mal an quelques œuvres de commande. Il se préparera un temps à l’exil mais renoncera… « L’Incinérateur de cadavres, dit-il, était mon troisième long métrage. J’en ai travaillé le scénario pendant deux ans avec Ladislav Fuchs, l’auteur du roman éponyme. Après l’entrée chez nous des armées du pacte de Varsovie, j’ai tout fait pour pouvoir en terminer le tournage. Mais le film a été interdit aussitôt, et cette interdiction est restée maintenue jusqu’à aujourd’hui. » L’incinérateur de cadavres de Herz, chef-d’œuvre d’humour noir, c’est aussi un film de terreur méthodique.

 

Michel Boujut, 25/01/1990

 

 Grand succès dans son pays d’origine et film culte dans le reste du monde, L’incinérateur de cadavres est un film bien difficile à classer. Souvent présenté comme un film d’horreur psychologique ou comme une comédie très noire et morbide, L’incinérateur de cadavres n’est ni l’un ni l’autre et encore moins une comédie horrifique. […] Au départ, donc, il y avait le roman de Fuks, grand succès à sa sortie en 1967, dans lequel le fils du “héros”, physiquement débile et présumé homosexuel, est en fait une projection de l’auteur. Un roman qui trouve une résonance particulière auprès de Juraj Herz, juif slovaque rescapé des camps de concentration (même si le livre ne traite pas directement de la solution finale et que l’anti-héros du titre n’est pas plus antisémite qu’il n’est réellement nazi ou bouddhiste). […]

L’incinérateur de cadavres, c’est aussi et surtout la prodigieuse interprétation de Rudolf Hrušínský, acteur hors-norme dans un rôle hors-norme : […] un être monstrueux qui se dissimule sous les oripeaux de la bonté et de la compassion. Le physique de Hrušínský, à la fois débonnaire et inquiétant, mélange d’ogre et de bon gros nounours, sa voix faussement caressante pleine d’une suavité mortifère, et même sa gestuelle dont la douceur apparente cache une violence à peine rentrée, tout cela contribue à égarer et inquiéter le spectateur. […]

Monstre froid se servant du bouddhisme et du nazisme pour respectivement dissimuler ses tares et se débarrasser d’une famille qu’il n’a jamais aimée. Dément intégral finissant par être persuadé d’être la réincarnation du Dalaï Lama, dont la destinée est de soustraire les Juifs tchèques à de futures souffrances en leur faisant goûter aux joies du crématorium. Le reste du casting est écrasé par Kopfrkingl/Hrušínský, omniprésent à l’image. […] On notera aussi que le crématorium du film est celui “art déco” (!) de Pardubice, où les cercueils descendent dans les flammes en étant surmontés d’une voûte céleste étoilée !

 

Psychovision.net, Forum du cinéma, février 2016

 

 Pour tracer le portrait de ce psychopathe aussi banal que hors du commun, Juraj Herz use d’un style cinématographique élaboré, recourant à une image en noir et blanc tranchée, penchant parfois vers un franc expressionnisme, au gré de visions riches et foisonnantes. Le montage est haché, inattendu, ne laissant que peu de répit au spectateur et n’hésitant pas à le bousculer et le désorienter au gré de raccords trompeurs. Un procédé revenant régulièrement consiste ainsi à nous laisser croire qu’un plan se déroule dans la continuité d’une scène, alors que le contrechamp qui le suit nous prend au dépourvu, révélant que nous avons en fait changé de lieu et d’interlocuteur, sans que le montage ne nous ait « avertis » d’un changement de séquence. Dans la même logique, un plan sans coupe visible particulièrement virtuose nous fait passer sans coup férir d’une synagogue à un bordel accueillant une orgie fasciste ! De telles manœuvres déstabilisantes font glisser le spectateur dans la spirale délirante de l’esprit de Kopfrkingl, jusqu’à un final très marquant, nous montrant cet individu accéder à la béatitude du meurtre et plonger dans un Nirvana crématoire, lui qui se voit comme une sorte d’ange exterminateur bienfaisant !

 

DeVilDead.com, Emmanuel Denis, mai 2006

  

Propos du réalisateur

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