Atelier de convesation_Extraits critiques

Interview de Bernhard Braunstein, réalisateur, et de Raphaël Casadesus, animateur de l’atelier par Jessica Duncanson pour FilmDoo.


Il y a tant de thèmes de discussion dans l’atelier, comment avez-vous choisi ceux à faire figurer dans le film?

B.B.: Comme j’y suis allé un an, je connaissais beaucoup de thèmes de discussion. J’ai remarqué que certains sujets étaient très forts et d’autres, moins. Quand on a commencé à tourner, j’en ai proposé certains qui pouvaient être intéressants pour le film, mais de toute façon, on se réunissait avant pour en discuter. Chacun pouvait faire des propositions, c’était un échange.


Comment parvenez-vous à les détendre et les mettre en confiance?

Raphaël Casadesus: J'ai remarqué que les gens d'où qu'ils viennent, quelle que soit leur langue d'origine, ont honte de mal parler le français. Ils pensent que les Français vont les juger de mal parler. En fait, les Français s'en fichent. Quelquefois ils veulent parler car le sujet les intéresse, mais ils ne parlent pas assez bien pour exprimer leur pensée. Je leur dis que ce n'est pas grave, qu'ils parlent avec leurs mots. Et bien sûr je ne les corrige pas, ce n'est ni mon rôle, ni le but de l'atelier.


B.B.: C’est très important. C’est fondamental. Quand on est corrigé, c’est comme si vous étiez à l’école. Ne pas être corrigé, c’est très important.


Si les gens sont déjà nerveux, mal à l’aise et que vous arrivez avec votre caméra pour les filmer, comment faites-vous pour les mettre en confiance?

B.B: Je me suis beaucoup interrogé: comment filmer sans détruire cette belle atmosphère? Je n’avais pas de stratégie précise. Les gens arrivaient, écrivaient leur nom sur une liste et le tournage commençait une minute après. On avait très peu de temps pour chasser les appréhensions. En une minute d’échanges, il est néanmoins possible à mon avis de sentir si vous pouvez avoir confiance en la personne ou non. Ces gens avaient confiance en moi, et quelque part cela constituerait un souvenir pour eux. C’est un moment important de leur vie.

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Vous avez dit que c’était une expérience humaine. Pour les participants, cette expérience consiste-elle plus en une thérapie pour eux qui sont déracinés, ou juste une leçon de français?

B: L’aspect “thérapie” est très important, mais il y a d’autres aspects de l’atelier. Je pense que la langue est importante et que certains veulent vraiment bien apprendre et prenaient des notes pour le vocabulaire. Beaucoup étaient là pour se faire des amis. Pour ensuite s’entraider, par exemple pour trouver un logement ou même le partager. Cet aspect social est donc très important, et bien sûr ils vivent tous une expérience difficile et ont besoin d’en parler. C’est le côté thérapie de l’atelier.


Certaines discussions sont assez politiques. Est-ce un choix délibéré?

B.B.: D’une certaine façon, tous les sujets sont politiques. Comme nous vivons dans un monde où les crises et les guerres sont partout, c’est assez effrayant.

  

Extraits critiques

Il était donc important pour moi d’aborder ces thèmes avec des personnes qui peuvent avoir des points de vue très différents. Les opinions sont très diverses. Ils peuvent s’écouter et essayer de se comprendre au lieu de se battre pour leur opinion. Et à l’atelier, le fait de mal maîtriser le français, fait que vous devez être très attentifs à ce que vous dites et comment vous le dites. Je pense donc que cet échange de points de vue est très important.


Dans une scène du film, cela devient tendu entre deux hommes. Dans ce cas, comment gérez-vous ces différends culturels ou même cette intolérance?

R.C.: C’est la première fois que ça arrive en 5 ans. Nous avons deux hommes: un Égyptien chrétien copte dans un pays musulman, et un Syrien. Ils parlaient de la viande halal. On parle souvent de comment trouver de la viande halal à Paris à l’atelier, bref un sujet qui ne prête pas à polémique. Puis c’est devenu plus tendu, non pas dans les propos, mais le ton de voix de l’égyptien. J’ai juste dit qu’il pouvait dire ce qu’il désirait – il n’y a pas de censure ici- mais pas sur ce ton.


B.B.: Je pense qu’il important pour le chrétien de s’exprimer là-dessus. On sentait sa colère. Pas contre son interlocuteur mais contre les extrémistes. Il a vécu des choses très dures. Sa mère a été tuée. Il est avocat et défend les droits des femmes, mais il a eu des expériences difficiles, donc il est plein de rancœur, ce que l’on peut comprendre. Je pense que quand il parle au Syrien et qu’il l’appelle par son nom, pour moi c’est le signe qu’il ne hait pas cette personne, mais plutôt les terroristes qui ont tué sa mère.


Un sujet qui revient souvent est celui de la crise économique. Et évidemment la “crise des migrants” en Europe qui fait naître tout un tas de stéréotypes et de préjugés sur les migrants. Le but de ce film est-il d’aider à les gommer?

B.B.: Oui, bien sûr c’est l’objectif principal de ce film. Je suis donc très heureux que le film soit vu, voyage à travers le monde avec les festivals et permette aux gens de discuter et d’écrire là-dessus. Nous devons devenir “humains”, plutôt que de parler des masses de migrants qui vont nous détruire. Nous devons raisonner en termes d’individus. Je pense que l’on peut voir ça dans mon film. Vous voyez que ce sont des personnes, des êtres humains avec un vécu, et non un danger potentiel pour nous.


Vous avez aussi filmé le reste de la bibliothèque en plus de l’atelier. Pourquoi?

B.B.: Pour moi, il était important de montrer le lien avec le monde extérieur, que nous n’étions pas une utopie ou une bulle. La construction du film est comme un oignon, il y a plusieurs couches. Au milieu il y a le cœur, le cercle de personnes, mais il y a aussi une autre couche qui est la bibliothèque. C’est un endroit très important pour beaucoup de gens qui viennent ici s’instruire et apprendre des langues. C’est un endroit ouvert, de tolérance, où les SDF peuvent venir dormir. Tout cela à l’intérieur du Centre Pompidou qui est un lieu de culture. L’aspect social est aussi important. Par exemple, vous pouvez remarquer que les noirs font le ménage et que les blancs s’occupent des livres. C’est ce genre d’images qui peut faire réfléchir le spectateur. (…)

Propos du réalisateur