Noces_Extraits critiques

Entretien avec Stephan Streker

 

Comment définiriez-vous Noces ?

Comme une tragédie grecque. Parce que, comme dans une tragédie grecque, c’est la situation qui est monstrueuse, pas les personnages. Je me suis intéressé avant tout à l’intime de chacun des intervenants de cette tragédie qui sont, tous, le siège d’enjeux moraux très puissants. Les liens qui unissent les membres de la famille sont des liens d’amour sincère. Et pourtant, tout le monde est écartelé. À commencer par Zahira entre ses aspirations à une liberté légitime et son amour pour sa famille dont les membres se trouvent être aussi ses geôliers. Je me suis attaché à comprendre tous les personnages : Zahira, bien sûr, mais aussi son frère, son père, sa mère, sa grande sœur, etc. Jean Renoir disait qu’il n’y avait jamais de méchants dans ses films parce que chacun a toujours ses raisons.


Qu’est-ce qui vous a guidé dans l’écriture du scénario ?

Je m’étais fixé une ligne de conduite : commencer et terminer chaque scène par le point de vue de Zahira. Le film, c’est elle, c’est son ressenti. Et si Zahira était absente de la scène, il fallait commencer et terminer par le point de vue d’Amir... Au cinéma, tout est à mes yeux une question de point de vue. Quand j’écris, ce sont toujours les dialogues qui viennent en premier. Et certains d’entre eux ont, bien sûr, été directement inspirés par mes rencontres avec les membres de la communauté pakistanaise de Belgique.

 

Vous avez enquêté longuement dans ce milieu ?

Bien sûr. Et c’était passionnant. Il était très important pour moi d’être irréprochable du point de vue de la culture pakistanaise et de sa représentation à l’écran. Le film est coproduit par une société pakistanaise et la problématique évoquée dans le film, tout le monde au Pakistan la connaît. Chacun a un membre de sa famille ou une connaissance d’origine pakistanaise qui vit en Occident et qui y a des enfants… Ce sont mes coproducteurs mais aussi les Pakistanais de Belgique qui m’ont permis de ne pas rester à la surface du sujet et de creuser en profondeur les faits et les personnages. Sur le plateau une consultante pakistanaise m’a accompagné, de la préparation jusqu’au dernier jour du tournage. Elle m’a permis d’être précis jusque dans les moindres détails, des tenues vestimentaires aux coiffures mais, surtout, en passant par la manière de parler. Comment une fille s’adresse à son père, à sa mère, etc. ? Quand parle-t-on français ? Quand passe-t-on à l’ourdou ? Le mariage via Internet qu’on voit dans le film est ainsi totalement fidèle à la réalité. L’imam qu’on voit dans Noces est, dans la vie, un « vrai » imam pakistanais. Anecdote amusante et qui nous a tous rendus assez fiers : ce n’est qu’à la fin de sa journée de tournage que l’imam a compris que les acteurs qui jouaient la scène du mariage n’étaient pas tous pakistanais. C’était une sorte de preuve ultime qu’on avait tous bien travaillé.

Extraits critiques

Comment avez-vous choisi Zahira ?

Il me fallait une comédienne qui soit digne d’être une héroïne. Il me fallait une grande tragédienne… Je voulais une actrice qui ne baisse pas la tête, qui ait un port de tête haut. Lina avait passé une audition pour Zahira à Paris, lors de l’une des rares journées où je n’avais pas été présent. Et elle n’avait marqué les esprits de personne, noyée dans la masse. Pendant une nuit d’insomnie, j’ai décidé de revoir tous les essais vidéo de toutes les comédiennes écartées. Et là, Lina m’a intrigué…

En travaillant avec elle. J’ai découvert quelqu’un de très à l’écoute, de vulnérable et de très fort à la fois et qui, surtout, avait une capacité à s’abandonner dans le travail. Et puis elle a ce regard qui vous transperce par son intelligence.

 

Avez-vous ressenti une responsabilité à embrasser un sujet aussi inflammable que le mariage forcé dans la société d’aujourd’hui, si sensible sur les questions de religion ?

Il faut toujours se sentir responsable quand on pose un geste, qu’il soit artistique ou autre. Je pense qu’il y a d’office une dimension politique, au sens « organisation de la vie en communauté », dans tout acte artistique. C’est inévitable, même si avec Noces je n’avais bien sûr pas pour but de faire un film politique. J’aborde de fait une thématique qui anime la société d’aujourd’hui, mais ce qui m’a surtout intéressé, c’est la tragédie intrafamiliale et en comprendre les enjeux réels, comprendre les êtres humains impliqués dans une histoire qui les dépasse. Comprendre ne veut bien sûr pas dire excuser ou diminuer les responsabilités. Mais il fallait surtout ne pas faire un film à charge d’une communauté. Zahira est vraiment une héroïne de 2017, une Antigone de son époque. Comme Antigone, elle dit « non ». Zahira est un personnage riche de deux cultures qui ne s’annulent pas mais qui s’additionnent. Elle vit dans une famille aimante mais dans laquelle apparaissent des enjeux qui sont au-dessus de tout, même au-dessus de l’amour. Et c’est sans doute aussi cela qui surprend : il peut y avoir des forces supérieures encore à l’amour et qui emportent tout... En cela, je pense que Noces dépasse son sujet et traite de quelque chose qui a un rapport très puissant avec ce que nous sommes en train de vivre aujourd’hui. J’ajoute que la problématique évoquée dans Noces n’est pas une problématique liée à la religion. Elle est liée à la tradition, à l’honneur et surtout à la valeur ultime : sauver les apparences. Zahira a rejeté la tradition mais a emporté sa religion, sa foi avec elle.

 

Pouvez-vous nous dire pour conclure ce qui vous a guidé tout au long de cette aventure ?

J’ai cherché à raconter cette histoire de mon point de vue personnel mais sans jamais guider le spectateur vers ce qu’il ‘fallait’ penser. Le point de vue est l’affaire du cinéaste. Mais le jugement est l’affaire du spectateur. C’est son ‘travail’. Et j’ajoute que le jugement d’un spectateur sur un film en dit souvent plus sur ce spectateur que sur le film lui-même...

Extrait du dossier de presse (RSCOM)

Propos du réalisateur