Les nuits blanches du facteur_Extraits critiques

"Je suis heureux qu'un si "petit film" en termes de budget, trouve une résonance chez d'autres gens que moi-même et mon équipe de tournage. L'important pour ce film, c'est qu'il intéresse les gens."


"J'ai tourné ce film dans la région d'Arkhangelsk, au nord de Moscou. Je ne cherchais pas de beaux paysages, j'ai filmé là où habitait le personnage principal. Le facteur Aleksey Tryapitsyin existe réellement. Il porte aux habitants du pain, des lettres, des avis d'imposition, des pensions et des ampoules électriques. En fait, il leur apporte la vie. C'est un film qui rend compte de mon ressenti au contact de cette frange de peuple russe. J'ai fait un film sur eux, mais je l'ai fait avec eux et ils m'ont aidé à écrire l'histoire. J'appelle ça une étude attentive de la vie, une biographie, une tentative de comprendre le monde. Pour être honnête, l'histoire est assez simple, mais comme on dit, il n'y a pas d'histoires ennuyeuses, c'est la façon de les raconter qui peut être ennuyeuse."


"Je voulais m'intéresser à la vie d'une personne en détail. Je ne voulais pas faire un gros film et je cherchais une histoire simple. Je me suis donc dit qu'il fallait que je filme en Russie, puis l'idée du facteur m'est venue. C'est une profession à part, que ce soit en ville ou à la campagne. Ils sont en contact avec des gens de toutes sortes et à travers leurs yeux, vous pouvez voir toute une classe sociale. J'ai pensé qu'un facteur vivant à la campagne serait encore mieux. On a donc commencé nos recherches. J'ai une équipe formidable avec qui il est agréable de travailler et ce sont aussi des amis. Il s'agit des scénaristes, journalistes, assistants qui ont déjà travaillé sur mon documentaire Battle for Ukraine. Ils ont cherché pendant 8 mois un facteur à travers tout le pays de village en village.» ?


Au vu de leurs résultats, nous en avons sélectionné 50, puis réduit la liste à 20, puis à 3 et enfin nous avons eu notre facteur. J’ai senti qu’il serait très intéressant de travailler avec le facteur Aleksey Tryapitsyn. Nous sommes donc allés le voir lui et ses "clients" et j’ai vite su que je ne m’étais pas trompé. C’est ainsi que le personnage principal et les autres protagonistes qui jouent tous leur propre rôle, ont été créés."


"Ces minuscules villages sont situés sur les rives du lac Kenozero, dans la région d'Arkhangelsk. C'est très religieux et il y a une multitude de charmantes petites églises. Il est difficile de faire un film avec de "vrais" gens, car on doit construire l'histoire à partir de fragments de la vie de chacun d'entre eux. On ne peut pas leur donner un scénario, un texte pour qu'ils le jouent. On les a donc suivis, on les a écoutés et ils nous ont écoutés. C'était un moment très agréable. Ce sont des gens fantastiques, merveilleux, même s'ils vivent dans un autre siècle."

commeaucinema.com

EXTRAITS CRITIQUES

Extraits d’une interview à Ogoniok:


«Nous n’avions pas de scénario. Nous l’avons "écrit" au moment du montage. Tous les personnages sont des gens réels, qui vivent dans un coin perdu de la région d’Arkhangelsk...

Jusqu’au tournage, je ne les avais jamais rencontrés. Ce sont des gens très particuliers. Les derniers représentants de la classe paysanne qui a pratiquement disparu après l’effondrement de l’URSS. J’ai eu envie de les observer, de voir ce qu’ils sont devenus, quelles sont leurs pensées. Je voulais comprendre aussi pourquoi ils méritent tout notre amour... J’enchaîne les interviews et la même question revient sans cesse: pourquoi faire un film sur un sujet aussi insignifiant ? J’ai toujours été inspiré par deux maîtres: Tchekhov et Robert Bresson. Travailler avec des gens réels ouvre à l'inconnu, l'inattendu. On retrouve les trois registres des émotions humaines, la peur, le rire et les larmes. Ce sont les fondements de mon cinéma, comme les trois masques de la tragédie grecque.

La politique n’a rien de commun avec l’art. Chacun fait son travail, les politiques et nous. Je considère que l’art donne son maximum dans les périodes historiques dures, guerres, épidémies, crises graves. Cervantès est impossible sans l’Inquisition. Le mode de développement de l’Europe n’est pas le seul possible ni le seul juste. Je considère que les valeurs de l’Europe sont loin d’être universelles et ne doivent pas s’appliquer à tous les peuples et tous les pays. La démocratie, par exemple, apporte la prospérité dans les pays riches. Mais que dire de l’Irak, pour ne citer que ce pays? Effondrement, chaos, dictature…

La Russie n’est ni pauvre ni arriérée. C’est un pays médiéval. Encore aujourd’hui. Et c’est tant mieux. Ses traditions, ses conceptions du monde, une voie de développement particulière, c’est cela sa richesse. Nous sommes un peu sauvages, un peu tumultueux, un peu dingues même. Et alors?

L’Europe a toujours été partagée entre deux héritages: celui des Grecs, dionysiaques, émotionnels, et celui des Romains, latins qui aiment l’ordre et la structure. Ils ont besoin de règles. Les Grecs ne comprendront jamais les Romains. Comme les Polonais ne comprendront jamais les Russes ou les Serbes. C’est un problème, mais c’est aussi magnifique. Il n’est pas du tout obligatoire que tout aille dans la même direction. Surtout aujourd’hui où l’Europe subit une crise grave dans tous les domaines, L’Europe voit son temps s’achever. Elle ne peut vivre sans la Russie. Mais la Russie peut vivre sans l’Europe. C’est le plus grand réservoir au monde d’eau douce. En ce moment, ça semble peu important mais dans quelques dizaines d’années ce sera évident. Les sanctions, l’isolement, les guerres, cela passera. Depuis la fin de l’URSS, il y a eu, sur la planète, 300 guerres.

La voie de développement occidentale, les valeurs européennes ne sont pas universelles: l’Europe Occidentale ne parvient pas à digérer cette vérité inconfortable pour elle. Il est naïf de penser que "le rêve américain" est bon pour tous. Qu’il faut vivre comme eux. C’est étrange et stupide...»


Notes de Production, ASC Distribution

Propos du réalisateur