Pour le reconfort_Extraits critiques

C’est votre premier long-métrage au cinéma. Y avait-il, d’une certaine façon, quelque chose de vital à ce que cette histoire existe au cinéma et non pas au théâtre ? Et pourquoi ?


Vincent Macaigne : Je trouve que ce n’est pas un film à voir avec peu de gens. En tout cas moi je n’aimerais pas. C’est un film que j’ai construit bizarrement, un peu comme une tragédie grecque. Celle-ci a été inventée, dans un sens, comme une catharsis politique. Un premier personnage vient et dit « Moi je pense ça » et le public se dit que ça a l’air juste, puisqu’il le dit. Un autre personnage arrive et remet ces croyances à zéro « Moi je pense ça, mais toi, tu as tort là-dessus » et voilà le public partagé entre les deux. D’un coup, un troisième arrive et amène la tragédie en donnant une troisième piste. Là, encore une fois la tragédie grecque agit sur le public. Les pièces ne sont pas construites à l’intérieur de la fiction mais sur lui, le public. C’était vraiment une action politique. Aujourd’hui, il y a beaucoup de films très différents. Dans ce qu’on peut voir dans le flux, mon film n’est pas le plus classique. J’ai essayé de faire en sorte que les scènes soient adressées à deux personnages mais aussi au public. Il y a un rapport avec la salle, j’ai l’impression que ce n’est pas une expérience solitaire avec le film. Un peu comme dans les travaux de David Lynch. Je trouve que ça n’a pas trop de sens de voir le film tout seul ou avec peu de gens. Il y a du coup un effet qui ne passe pas, de l’ordre du politique. Le moment présent, le truc organique du théâtre, je voulais voir comme je pouvais le transposer.

 

C’est une forme de liberté supplémentaire que vous avez trouvée dans le cinéma et qui n’existait peut-être pas au théâtre ?

Vincent Macaigne : Le théâtre, ça va vite, c’est un accident. Quand les acteurs jouent, pour moi ils tuent le metteur en scène. Ils doivent le faire, ils doivent pisser dessus pour bien jouer. Quand je filme, je vole quelque chose aux acteurs, donc c’est presque le système inverse. à certains moments, le théâtre peut complètement m’épuiser : comment recréer l’accident tous les jours ? Au cinéma il y a quelque chose de peut-être plus littéraire et de posé, qui me permet de travailler ailleurs, sur une autre dialectique. Ce qui ne veut pas dire qu’il y a moins d’énergie. Ce n’est pas le même rythme de travail, ni les mêmes questions, ni la même folie. En effet, ça m’apporte un truc très grand. Bizarrement, le cinéma n’a pas la même culture du texte. J’aime bien enregistrer des textes, des gens qui parlent. Le documentaire le fait plus. J’avais cette idée là quand j’ai commencé à tourner et que je ne savais pas encore que ça allait faire un film avec des longs moments de textes, des longs moments avec les acteurs, des pensées qui s’entrechoquent. Et faisant avancer la dramaturgie avec une parole assez active qui divise le public.

Extraits critiques

Ça a l’air très important, pour vous, les rapports de classe ? Comme une sorte de fascination…

Vincent Macaigne. : Ce n’est pas une fascination. Je travaille avec des acteurs qui sont dans les plus grands théâtres publics et qui vivent dans 20 m². J’ai honte, en tant que metteur en scène. Je suis le patron de ça. J’ai honte de ne pas pouvoir payer les gens suffisamment pour qu’ils en vivent, j’en ai les larmes aux yeux. Donc ce n’est pas une fascination, je suis terrorisé par ça. Les gens pensent que quand untel joue à l’Odéon il vit bien, mais ce n’est pas vrai. On fait croire à des gens à la méritocratie et c’est terrible. Si ça ne marche pas, alors c’est la République qui ne marche pas. Quand tu fais HEC, si tu n’es pas dans certains endroits, tu n’as pas autre chose que des stages. Ils ont carrément institutionnalisé ça. C’est terrible.

 

On parle de tragédie : le film est une adaptation libre de Tchekhov (ndr : La Cerisaie). Et si je vous dis que j’ai vu aussi le film comme une comédie ?

Vincent Macaigne : C’est vrai aussi. Il y a beaucoup de gags dedans, beaucoup d’humour caché. Après les gens rigolent ou ne rigolent pas. Notamment le fait que les vieux soient l’avenir. C’est pas si drôle que ça parce que c’est vrai [Il rit]. ça m’a bien fait rire. Je voulais faire ce petit dialogue et je voyais tous ces gens un peu vieux derrière et je trouvais ça marrant qu’ils disent ça.

 

J’ai l’impression que dans Pour le Réconfort, il y a de la psychologie, mais un refus du psychologisme et qu’on doit, en tant que spectateur, se débrouiller avec ça. Pour vous, c’est important le hors-champ ?

Vincent Macaigne : C’est extrêmement important dans le film, oui. Le hors-champ, c’est le public pour moi. La question du psychologisme est une vraie question ; il y en a beaucoup et ça interroge le spectateur. Qu’est-ce que vous en pensez, vous ? Même Shakespeare, et la tragédie en règle générale, c’est ça. C’est bizarrement écrit parce que le spectateur est comme un acteur.

 

Que vouliez-vous à tout prix éviter avec ce film ? Ou à tout prix réussir ?

Vincent Macaigne : Je voulais éviter la malhonnêteté. J’ai fait Dom Juan (ndlr : Dom Juan et Sganarelle pour Arte) avant parce que c’était une commande et que ça me permettait de travailler. Je n’ai pas fait d’école de cinéma, je n’ai pas de parcours. J’ai besoin de comprendre une grammaire. De ne pas avoir de compte à rendre et de le faire à ma façon. Dire quelque chose aux gens et ne pas abandonner l’espoir d’être entendu. Au théâtre c’est pareil, quand les acteurs jouent mal, je leur dis « Vous ne jouez pas juste, ce soir, parce que vous n’avez pas eu l’espoir d’être compris ».

 

Interview de Grégory Marouzé, TouteLaCulture.com

Propos du réalisateur