Tharlo : Le berger Thibétain_Extraits critiques
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Professionnalisation du cinéma tibétain

Le nombre de films tibétains augmente depuis que j’ai fait mes études. Quand je me suis installé à Pékin, il y avait peu de professionnels du cinéma tibétains. J’ai réussi à m’entourer de personnes compétentes qui ont formé la base d’une équipe soudée : Sonthar Gyal mon chef opérateur, Sangye Gyatso, mon producteur, et Dukar Tserang mon ingénieur du son. Au Tibet, il est difficile de trouver des financements pour produire un film, et le réseau de salles n’est pas suffisant pour rentabiliser les sorties. On est obligé de penser un film à la fois pour un public tibétain, chinois et aussi international. Mon premier long-métrage The Silent Holy Stones était l’un des premiers films en langue tibétaine alors que le cinéma chinois fêtait ses 100 ans !

Je suis heureux de constater que dix ans plus tard le cinéma tibétain s’est développé et que beaucoup de jeunes tibétains veulent faire des films et se professionnalisent. En 2005 par exemple, il n’y avait pas d’acteurs tibétains professionnels qui parlaient le dialecte de l’Amdo. Les choses ont beaucoup évolué depuis et c’est plutôt rassurant.

Le cinéma tibétain commence à trouver sa place dans les salles et les festivals internationaux parce qu’on propose des films avec une vraie démarche d’auteur, ce qui n’est pas le cas de tous les films chinois. Malgré les mille films chinois produits chaque année, peu sont diffusés, et la part des films Art et Essai diminue. On observe l’inverse avec le cinéma tibétain.

 

Diffusion de Tharlo en Chine et à travers le monde

Tharlo a été montré à Pékin, à Shanghai et dans de nombreuses villes en Chine. Avoir un film en langue tibétaine avec une si large diffusion en Chine était intéressant, notamment par rapport aux réactions du public. Les cinéphiles chinois ont beaucoup apprécié le film, les autres y ont vu le destin d’un homme qui les touchait directement. Beaucoup, qu’ils soient chinois ou tibétains, se sont identifiés à Tharlo.

Dans certaines villes tibétaines nous avons aussi été confrontés à un problème de langue. Le film est tourné dans le dialecte tibétain de l’Amdo qui ne ressemble pas au tibétain de Lhasa. Les Tibétains qui ne parlent ni le dialecte de l’Amdo, ni le chinois (langue des sous-titres du film), n’ont pas pu comprendre. Pour cela il aurait fallu doubler le film dans les deux grands dialectes (Lhasa et Khams) car peu de Tibétains savent lire. Mais cette solution est compliquée d’un point de vue économique car en Chine il y a beaucoup de piratage et il est très difficile de rentabiliser ce genre d’investissement. Je suppose qu’une bonne partie des Tibétains a vu le film en ligne de manière illégale.

Dans les cinémas en Chine, le film a fait 1 million d’entrées ce qui peut paraître peu par rapport à la population, mais c’est beaucoup pour un film tibétain. Au Festival Taipeï Golden de Taïwan, il a obtenu plusieurs prix qui ont probablement facilité sa sortie sur les écrans en Chine dans le circuit Art et Essai.

EXTRAITS CRITIQUES

Et aujourd’hui, plusieurs cafés au Tibet s’appellent « Café Tharlo ». Tharlo a également été sélectionné dans une trentaine de festivals internationaux dont Venise et a obtenu entre quinze et vingt prix. A l’étranger, il a été distribué dans plusieurs villes des Etats-Unis après avoir été montré au MOMA à New York. Il a également été distribué en salles en Grande-Bretagne en 2016.

 

Signification de « Tharlo »

Au Tibet, les noms sont donnés aux enfants par les lamas ou les parents. Mon personnage est orphelin. Il a oublié son véritable nom, et les gens l’ont surnommé

« Tharlo », ce qui signifie « Celui qui est libéré ». C’est une boutade au regard de son destin tragique. Progressivement il va oublier ce surnom et ne retenir que le second : « Ralo », qui signifie « Petite natte ».

 

Choix de mise en scène dans Tharlo

Que ce soit dans Tharlo ou dans mes précédents films, je choisis mes décors en fonction de ce que je souhaite exprimer. L’histoire se passe en hiver pour refléter le destin du personnage et son état intérieur. Tharlo est un berger orphelin, sans carte d’identité. C’est un homme qui se cherche et qui, au lieu de se trouver, finira par se perdre. Il a grandi dans la montagne. C’est son cadre, ce qu’il connaît. Quand il descend en ville, il sort de ce cadre (et je le traduis de manière littérale dans mon film) et devient étranger aux autres et à lui-même. C’est une histoire qui pourrait arriver au Tibet comme ailleurs et qui possède une dimension universelle. Tharlo est un archétype qui permet à chacun de s’identifier à son parcours. Il est comme un immigré dans une ville inconnue, sans repère. Il y a plusieurs niveaux de lectures possibles et on peut très bien ne pas connaitre la culture tibétaine et s’identifier au personnage de Tharlo. 

Françoise ROBIN enseigne la langue et la littérature tibétaines à l’INALCO (Institut National des Langues et civilisations orientales) ; responsable de la section Tibet, auteure de plusieurs ouvrages et d’articles sur le Tibet, elle a codirigé l’ouvrage « Clichés tibétains. Idées reçues sur le toit du monde » (2011, édition Le Cavalier Bleu). Traductrice de « Neige », recueil de nouvelles de Pema Tseden (republié en Poche- 2016), elle a sous-titré en français tous les films du réalisateur tibétain qu’elle connaît depuis des années.

Propos du réalisateur

Propos tirés d’un entretien avec Pema Tseden réalisé par Françoise Robin (voir ci-dessous) en 2017

Photos de Françoise Robin