Bravo virtuose_Extraits critiques

Comment est né le projet ? Quel était l’élément déclencheur de l’histoire ?

Je suis de très près la situation en Arménie depuis ces vingt dernières années car c’est mon pays natal et tout ce qui s’y passe me concerne personnellement. Après la chute de l’Union Soviétique en 1992, comme tous les pays de l’ex-URSS, l’Arménie s’est libérée et a été entraînée dans un capitalisme sauvage. L’économie du pays a été dérégulée, la pression financière a conduit à une situation où la culture en général et la musique classique en particulier ont été à deux doigts de disparaître. On ne peut pas dire que le communisme était le meilleur système, mais malgré tout, l’art et la culture occupaient alors une très grande place dans la société, souvent pour des raisons de propagande. Depuis, l’argent occupe le devant de la scène, reléguant la culture, la science, l’éducation loin derrière. Ces bouleversements politico-économiques m’ont donné envie de faire ce film.

 

L’histoire de Bravo virtuose s’inscrit dans l’Arménie d’aujourd’hui, loin du passé douloureux de l’Arménie...

C’est vrai. Alik est un personnage moderne, une sorte de « héros de notre temps ». Les pages douloureuses dans l’histoire de l’Arménie sont nombreuses, mais j’ai préféré me concentrer sur les « malheurs » d’aujourd’hui. Les sujets évoqués dans le film sont d’une brûlante actualité. On y parle de musiciens classiques de haut niveau forcés à faire de petits boulots dévalorisants pour survivre, mais aussi de valeurs morales, d’oligarques mafieux qui règnent sans partage. Plus largement, ce film est une allégorie du rôle de la jeunesse dans la société contemporaine. Ce film raconte comment la jeunesse s’en sort avec ses propres armes face à ce vieux monde abîmé et lui oppose ses valeurs : audace, innocence, joie et amour.

 

Vous empruntiez déjà la forme du conte dans vos courts métrages. Pourquoi ce choix ?

Les contes nous ont tous bercé dans notre enfance. Nous nous sommes tous construits en écoutant ces récits où le Bien combat le Mal. Ils s’adressent à l’inconscient de l’homme. Tous mes films sont des contes postmodernes où le Bien et le Mal ont des visages bien réels, connus de tous. Un conte permet de parler avec légèreté et humour de choses importantes, voire essentielles de notre existence. Je ne fais pas du cinéma-vérité. Je souhaitais montrer le visage d’une société à travers le prisme de l’art cinématographique. Je revendique également l’émotion ! Dans mes films je souligne toujours le côté émotif des personnages, leurs dilemmes intérieurs, leur penchant pour le sacrifice de soi.


Le film consacre une place importante à la musique, qui module les différents états d’esprit du jeune Alik et finit par constituer un personnage à part entière...

Bravo, virtuose est un film qui parle de musique et la met en scène. Les films soviétiques, qui ont été la base de ma culture cinématographique, sont très musicaux. Il y avait toujours de belles musiques et chansons dans ces films. Et j’aimais beaucoup ça. La musique a toujours occupé une place importante dans ma vie, même si je n’ai jamais étudié la musique et n’ai jamais réellement appris à jouer d’un instrument. Mais pour moi, la musique est le sommet de l’art.

Extraits critiques

On retrouve dans votre film des éléments de genres comme l’aventure, la comédie, l’action... Y a-t-il un genre auquel vous rattachez davantage votre film ?

J’avais envie que le film soit comme la vie, avec des humeurs et des couleurs différentes. Je ne voulais pas rester coincé dans un cadre prédéfini. Je voulais m’affranchir de ce carcan. La vie en soi est un mélange des genres ! Je voulais faire un film qui puisse aller vers tous les publics, des gens différents, de cultures différentes, un film pour les jeunes et les moins jeunes. Un film qui va très vite, qui saisit son spectateur et qui le tient en éveil jusqu’à la fin. Je voulais que tous puissent s’y reconnaître – ceux qui aiment les aventures rocambolesques, ceux qui aiment la musique classique, ceux qui aiment les belles histoires d’amour. Et surtout, je ne voulais pas parler de sujets sensibles avec misérabilisme. J’avais envie d’utiliser la force comique pour raconter une histoire où les gens, même en difficulté économique, ont de la fierté, de la force et du courage pour s’en sortir. Le comique est un moyen d’expression sans limites, qui nous permet de parler des choses les plus graves sans pour autant alourdir le propos


Pour votre premier film vous vous êtes entouré d’artistes d’origine arménienne de renom Tigran Hamasyan et Michel Petrossian...

Tigran est un musicien hors normes, extrêmement talentueux et original. Il est né et a grandi, comme moi, à Gyumri, la deuxième ville d’Arménie, qui a été anéantie par le séisme en 1988. Nous parlons ensemble dans un dialecte très spécifique, propre à notre ville natale et on se comprend à demi-mot. Je lui ai demandé de faire la bande originale du film. Elle devait être au service du film et en aucun cas un autre album jazzy de Tigran Hamasyan. Nous avons travaillé en imaginant des thèmes musicaux pour chacun des personnages principaux. Tigran a aussi composé au « fil de l’eau » en regardant le film devant son piano. Dans le film, il y a aussi un Concerto joué par un orchestre classique. J’ai fait appel à l’un des compositeurs les plus doués de sa génération, Michel Petrossian, d’origine arménienne lui aussi. L’œuvre de Michel est plus éclectique, plus moderne. Je lui ai demandé de composer le « concerto pour clarinette et orchestre », de façon plus « classique », plus mélodique. Le solo de clarinette est interprété par un grand virtuose français : Philippe Berrod. Nous avons enregistré ce morceau à Erevan avec l’Orchestre National Philharmonique d’Arménie, sous la direction d’Eduard Topchjan.

 

Même si votre film n’est pas un film militant vous y abordez beaucoup de questions. Qu’aimeriez-vous que le spectateur retienne du film ?

Certains médias et politiciens s’emploient à dresser le portrait d’une société où tout va mal. Mais il suffit de regarder autour de soi pour se rendre compte que la vie est belle. Très belle même ! Il faut juste changer le regard que l’on porte sur le monde et se détacher du conditionnement que l’on nous impose. Pour ma part, je veux faire un cinéma jubilatoire qui donne de l’espoir, qui donne au spectateur la possibilité de passer un bon moment, mais qui lui permette aussi, en sortant de la salle, de commencer à réfléchir sur sa condition humaine, sur ses propres luttes, sa culture, ses valeurs…

 

D’après Emma Boutboul, Dossier de Presse

  

Propos du réalisateur