L'île aux chiens_Extraits critiques

Il y a sept ans, alors que vous veniez de finir Fantastic Mr. Fox, vous disiez que l'expérience du stop motion avait été trop lourde. Mais vous voilà de retour avec les marionnettes de L’Île aux chiens..

Je suis sorti essoré de Mr. Fox. La première partie de la fabrication avait été un combat de tous les jours avec la technique. Là-dessus, il a fallu sortir le film aux Etats-Unis et on s'est aperçu que les studios ne voyaient pas comment faire avec un tel prototype. Ils voulaient absolument le vendre aux enfants. Le dialogue avec les studios fut épuisant.


Cet apprentissage douloureux vous a rendu plus confiant pour L’Île aux chiens?

C’est tout le paradoxe. Si bien que ne pas refaire un film en stop motion aurait été dommage. On pouvait enfin s’amuser vraiment.


L’Île aux chiens était impossible à tourner comme un film traditionnel?

On a commencé par une idée de film, avec Roman Coppola et Jason Schwartzman, et on s’est rendu compte assez vite que ce n’était pas un script écrit pour des humains. Et je n’ai aucune idée de comment on dirige une horde de chiens, cela aurait coûté une fortune de faire un film avec un garçon et des chiens, je n’ai pas cherché à faire un film cher.


Vous ne cherchez pas à boxer dans la catégorie des blockbusters non plus...

On fait les choses pour rester dans un dialogue avec le public qui est le nôtre, fidèle, avec surtout un goût pour la liberté et le décalé qui me permet d’avancer. Je ne cherche pas coûte que coûte à parler aux enfants, la seule cible du film d’animation tel que le conçoivent les studios américains. On est plus proche de ce que visent les Japonais: faire le film le plus beau possible, comme on le ferait avec des acteurs. Dans ce film, il y a trop de tristesse pour des 3-6 ans. Je sais: j’ai une petite fille...


Au festival de Berlin, justement, la critique a vu dans ce film une parabole sur les réfugiés...

J’irais au-delà: le film montre comment une partie entière de la population peut se retrouver ostracisée et finalement parquée, par un pouvoir détenu par un fou. On peut y voir un écho de la situation actuelle des réfugiés, certains y ont lu une critique de la politique de Donald Trump. On peut y lire une part de l’histoire du XXe siècle. La répétition de certaines choses au XXIe siècle me préoccupe.

On a de plus en plus l’impression que vous jouez avec les acteurs comme avec des poupées...

Jason Schwartzman dit que depuis Mr. Fox, j'ai pris la sale habitude de demander à mes acteurs des choses impossibles, des mouvements, des vitesses de déplacement dans l'espace qui ne sont plus de l'ordre de la nature. Il pense comme vous, il dit que mon rêve est finalement de diriger les acteurs comme des marionnettes. (Rires).

Si la question est de savoir si je suis un control freak, ma réponse est non. (Rires.) Pour une simple raison: je ne cherche pas à contrôler les choses, je cherche à mixer entre eux des éléments qui paraissent incongrus. Une idée me vient, mais aussitôt je songe à lui trouver un élément absolument inapproprié pour la rendre unique, inquiétante, poétique, belle, inattendue.


Vos films sont pourtant très reconnaissables, ils portent la même signature, le même style unique...

Après neuf longs métrages, je n’arrive pas à connecter mes films entre eux. Je me retiens de le faire. Je me retranche derrière des choses concrètes: pour faire telle image, il me faut résoudre telle question... Si je commence à me citer moi-même, je suis mort artistiquement. J’ai des regrets sur certaines scènes, je me dis: à cet endroit, je n’ai pas eu assez d’imagination, je n’ai pas pu faire autre chose que ce que je sais faire. Et cela me rend triste ou me donne envie de commencer un autre film, qui me sorte de ma zone de confort.


Qu’est-ce qui déclenche un film? Un personnage?

Ça change à chaque fois. Pour Grand Budapest Hotel, c'était le lieu. Ici aussi, d'ailleurs: la première image était une île. Perdue dans un Japon imaginaire. Rien de plus.


Comment dirige-t-on des figurines?

Tu dois apprendre à les manipuler jusqu’à leur donner avec tes mains une personnalité. Ce qui veut dire que chaque animateur est unique. Le tournage a duré deux ans. Si, durant ce temps, un animateur devait s’absenter, je pouvais m’en apercevoir: le chien n’avait plus tout à fait la même expression. C’est comparable à une guitare. Elle est la même pour tous, mais c’est ton toucher qui tire d’elle un supplément d’âme.


D’après Philippe Azoury, grazia.fr


  

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