JINPA_Extraits critiques
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Interview de Pema Tseden par Panos Kotzathanasis en mai 2019 in Asian Movie Pulse

 

Jinpa paraît plus accessible que votre précédent film Tharlo. Pourquoi avez-vous choisi cette approche ?

 

Pour moi, Jinpa semble moins accessible (rires). Jinpa est beaucoup focalisé sur un rêve, les gens ne sont pas sûrs de son interprétation et c’est un film difficile à comprendre.

 

Pourquoi avez-vous décidé de tourner le film dans la région spécifique de Hoh Xil ou Kekexili ? Le tournage y a-t-il été difficile ?

 

J’ai choisi celle-là parce qu’il y existe une tradition de vengeance. (…) De plus cette région est faiblement peuplée, très calme, les conditions de vie y sont difficiles et je sentais que l’endroit convenait au scénario de Jinpa. Comme le tournage se passait à une telle altitude (5000 m. en moyenne) il n’y avait que les gens du pays qui étaient habitués à ce type de conditions, tandis que l’équipe, composée de Chinois et de Tibétains, est de fait tombée malade par manque d’oxygène.

 

Pouvez-vous nous donner des détails concernant les nouvelles qui sont à l’origine du film (L’assassin de Tsering Norbu et votre nouvelle, J’ai écrasé un mouton) ?

J’ai pensé que l’Assassin était très court et c’est pourquoi j’ai ajouté ma propre histoire dans le scénario. En réalité, il y a des éléments communs entre les deux histoires, par exemple, la notion de rédemption quand Jinpa, le chauffeur cherche à se racheter pour avoir écrasé un mouton et que Jinpa l’assassin cherche à se venger. De plus les deux histoires comportent de nombreuses scènes sur la route et c’était facile de les combiner. (…)

 

Jinpa, le conducteur du camion ressemble à une rock star. Pourquoi avez-vous fait ce choix ?

Je voulais que le routier paraisse fort alors que l’assassin apparaîtrait faible et fragile ; or c’est précisément l’allure qu’ils ont. En réalité, je voulais créer une opposition puisque Jinpa le routier est en fait une personnalité fragile alors que l’assassin est fort de sa détermination à se venger.

 

Pouvez-vous nous donner des détails concernant la patronne du Tea House qui est très jolie et a l’air plutôt aguichante ?

Elle gère un bar à thé sur le bord de la route ; alors elle rencontre un tas de gens différents et c’est pourquoi j’ai choisi d’en faire une personne belle et charmante. Elle a aussi un rôle décisif dans la narration parce que c’est elle qui parle, à Jinpa le chauffeur, de Jinpa l’assassin et des choses que le routier n’a pas vues dans sa relation avec ce dernier. De cette façon elle fournit un autre point de vue sur le personnage de l’assassin.

 

La fin du film est vague, déroutante et confuse. Pourquoi avez-vous choisi de la présenter de cette façon ?

La fin est un rêve. Vous remarquerez que la caméra est à l’endroit même où Jinpa le routier a roulé sur le mouton, bouclant ainsi la boucle. Pendant le rêve, la caméra se tourne vers un lac et le routier est habillé comme l’assassin ; ainsi devient-il l’assassin pour l’aider à exercer sa vengeance. En fait pour les gens de cette région, ne pas venger un membre de sa famille est considéré comme un déshonneur ; mais quand le tueur trouve celui dont il veut se venger, il comprend qu’il ne pourra pas le faire. Au même moment, l’homme qu’il veut tuer a conscience d’avoir commis un crime et psalmodie des sutras pour se racheter, tout en attendant d’être tué.

Aussi quand le jeune homme ne le tue pas, il n’est pas libéré et de fait, c’est Jinpa le routier qui termine le cycle dans son rêve, les libérant tous les deux. Dans le même temps, cette fin prolonge aussi un cycle négatif, puisque probablement alors, le fils ou un proche de l’homme que Jinpa le routier a tué se mettra également en quête de l’assassin de son parent. À mon avis, ce genre de cycle devrait être interrompu, bien qu’il fasse partie de la tradition et c’est pourquoi j’ai présenté le tout sous forme d’un rêve. Le spectateur peut comprendre que c’est un rêve avec la scène où Jinpa le chauffeur regarde un aigle mais au sortir de son rêve, il réalise que c’était un avion.

 

Les deux scènes les plus marquantes du film sont les scènes de sexe entre Jinpa le chauffeur et sa petite amie et la scène de funérailles avec les vautours à la fin. Pouvez-vous nous donner des détails sur la façon dont vous avez tourné ces scènes ?

Selon moi, la première scène à laquelle vous faites allusion est de nature matérielle car Jinpa apporte à son amie un quartier de viande et ils font l’amour, ce qui signifie que leur relation n’est pas si profonde que cela. La scène prend place dans un espace très étroit et vous pouvez voir que les deux personnages ne se sont pas vus depuis un certain temps et qu’ils veulent s’étreindre et renouer avec l’intimité ; c’est ce que je veux montrer par un focus de la caméra sur les mains. Le miroir aussi fonctionne comme un moyen de montrer cela, puisque quand les lumières sont éteintes, nous ne voyons pas grand-chose mais quand elles se rallument, on peut voir dans le miroir le quartier de viande qui symbolise en quelque sorte leur relation. Et vous pouvez voir que la scène de sexe est plutôt brève parce que la personnalité de l’assassin a tellement ébranlé le routier qu’il ne parvient pas à conclure. Qui plus est, Jinpa porte toujours ses lunettes de soleil dans le film mais après l’amour, il les enlève et la lumière se rallume sur une scène symbolisant une forme de libération.

Pour la scène de funérailles, il y a trois façons d’enterrer un mort selon la tradition. (…) La troisième consiste à le laisser manger par les vautours car la croyance est que les oiseaux emporteront l’esprit du mort au ciel. Nous avons fait psalmodier des sutras par un moine et au lieu d’un vrai cadavre, nous avons fait brûler de la viande. Les acteurs ont dû attendre patiemment l’arrivée des vautours mais en fin de compte, des centaines d’oiseaux sont arrivés et le tournage n’a pris qu’une matinée. Pour moi, cette scène revêt une signification triple. Au début, vous pouvez voir Jinpa le chauffeur, après le meurtre du mouton, exiger d’un moine un sutra en l’honneur du mouton mort, exactement comme pour un être humain parce qu’il se sent coupable ; dans le rêve, le chauffeur devient l’assassin et parachève la vengeance originelle de l’assassin ; et pour l’autre tueur, le vieil homme est tué en rêve. De cette façon les trois personnages trouvent leur rédemption.

 

Traduit de l’anglais par M. Dornier et revu par M. Cordillot

  

Propos du réalisateur

Extraits critiques

Photos de  Françoise ROBIN

JINPA, un conte thibétain