First Cow_Extraits Critiques

Une citation de William Blake ouvre le film: «’oiseau a son nid, l’araignée sa toile, et l’homme l’amitié». L’avez-vous empruntée au livre, et considérez-vous First Cow comme un film sur l'amitié?

C’est un film qui parle de choses moins belles, mais l’amitié y est centrale. La citation de Blake, qui figure dans The Half-Life, est le catalyseur de tout le reste.


First Cow parle aussi de la fabrication, de la création: Cookie et King-Lu s'associent dans un projet créatif destiné à préparer et à vendre des scones et des gâteaux. Le film s'attache beaucoup à la manière dont ils s'y prennent, et je me demandais si votre propre intérêt pour la fabrication se retrouve dans cet aspect du film.

Tous mes films, d’une certaine façon, évoquent la complexité d’un processus de fabrication.


Vous n’avez jamais cessé de monter vos propres films. En quoi est-ce important, à vos yeux, de garder le contrôle sur le montage? Votre méthode en la matière a-t-elle beaucoup évolué au fil des années?

Le montage influe sur ma mise en scène – je réfléchis à l’assemblage des plans au moment où j’imagine la scène.


Vous filmez très près du sol dans First cow, et vous utilisez un format semblable à celui de La dernière piste, mais dans un espace visuel fort différent. Le cadre est très étroit, très intime, et offre peu ou pas de plans panoramiques ou de prises de vue de paysages.

First Cow est tourné en 4/3. Dans le film, les personnages creusent, fouillent la terre, les cheminées sont au niveau du sol, tout comme la paillasse sur laquelle dort Cookie – tout est près du sol. Le format carré convient bien aux grands arbres pour les extérieurs et accentue la proximité des éléments du plan avec le spectateur. Il convient bien également aux personnages. Le 4/3 n'a rien de spectaculaire. C'est un format modeste.


On a le sentiment que le film évoque une société en devenir. Rien n’est encore standardisé, ni uniformisé. Les personnages viennent tous d’ailleurs, et ils sont tous d’une étonnante diversité. C’est un environnement américain primitif.

La région où se déroule le film s’appelle le Lower Columbia, là où la rivière Willamette se jette dans le fleuve Columbia, à proximité du Portland actuel. L’époque à laquelle on s’intéressait est passionnante. Beaucoup de nouveaux venus avaient été attirés par le commerce du castor encore balbutiant. Il n’y avait pas encore de gouvernement, mais d’importantes entreprises qui commençaient à extraire des ressources naturelles. 

La région était d’ailleurs assez cosmopolite à certains égards. Il y avait là des gens de Russie, d’Amérique, d’Angleterre, d’Espagne, d’Hawaï, et de Chine, parmi de nombreuses tribus et clans vivant à proximité de la rivière, et qui se servaient de celle-ci comme d’une voie rapide pour leur commerce depuis des millénaires. C’est donc un environnement américain primitif, d’une certaine façon, mais qui va totalement à l’encontre de notre représentation habituelle de la conquête de l’Ouest qui a tendance à faire des origines de l’Amérique une histoire économique coloniale.


On sent une constante présence des Amérindiens, même s’ils ne sont pas au centre de l’intrigue, comment avez-vous intégré cette communauté au projet?

C’est une question majeure. Le film est une histoire d’immigrés qui parle d’un cuisinier et d’un marin dans une région qui leur est étrangère. Cela dit, le film se déroule dans le nord-ouest des États-Unis, dans les années 1820, et nous souhaitions faire en sorte que les populations qui vivaient là à cette époque soient représentées de manière fidèle à l’histoire.


Il y a des références à l’époque actuelle dans First Cow, qu'il s'agisse de son regard sur le capitalisme ou les clivages sociaux, ou même l'existence à l'écran d'une amitié loyale et tendre entre deux êtres issus de communautés différentes. On peut sans aucun doute décrypter First Cow comme une œuvre très engagée?

Je dirais que tous les films sont engagés à leur façon. C’est lié aux sujets qu’ils abordent et qui nous intéressent. Où le pouvoir réside-t-il? À quel moment considère-t-on que les gens ont réussi leur vie ou qu’ils s’en sortent à peine? Comment cela influe-t-il sur leurs rapports? Toutes les histoires abordent ces questions-là. Mais j’espère quand même que les films parlent avant tout de personnages bien particuliers et de leurs trajectoires individuelles.


Nous n’avons pas évoqué la vache de Firts Cow. Elle mérite sans doute d'être mentionnée.

Elle s’appelle Evie. Elle a été sélectionnée à partir de plusieurs photos de vaches. C’est celle qui avait les plus grands yeux. Quand on travaille avec des animaux, on doit tous ralentir la cadence. Et les équipes de tournage n’ont pas l’habitude de tourner lentement et sans faire de bruit. Mais avec Evie, ou les chevaux de Certaines femmes, toute l'équipe doit fonctionner au ralenti et être attentive à l'animal. Si on le braque, on risque d'accumuler de la frustration...


Chloé Lorenzi, Dossier de Presse.

Propos de la réalisatrice

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