07-03-Denières nouvelles du cosmos_Extraits critiques

Pouvez-vous revenir sur la naissance du projet?

Julie Bertuccelli : J'ai rencontré Hélène pour la première fois à la fin d'un spectacle de Pierre Meunier qu'elle avait été voir. Déjà alors, elle m'avait subjuguée. J'avais également déjà commencé à lire ses textes dont Pierre m'avait parlé. Quand j'ai vu leur richesse, je me suis tout de suite dit que j'adorerais faire un film sur Babouillec. S’il n’y avait pas eu ce projet de spectacle, je ne me serais pas lancée dans l’aventure. Je n’ai aucune intention, ni prétention à faire de l’esthétisme, ni d’ailleurs à être dans la tête d’Hélène. J’aime faire des films vivants, des films qui soient dans l’action. Avec ce projet de mise en scène, il y avait tout d’un coup une occasion formidable, un fil qui me plaisait beaucoup et que j’avais envie de suivre.


Le film est composé de nombreux plans où le visage d’Hélène remplit le cadre. On sent que la caméra cherche à percer le mystère d’une fascination, à interroger son visage. Aviez-vous anticipé l’intensité de cet échange?


Je voulais qu’il y ait cet échange entre nous, qu’elle me regarde et qu’il y ait beaucoup de moments silencieux. Je sentais bien que c’était un jeu et qu’au travers de moi, elle questionnait notre regard sur elle. (…) Mais au-delà de ces face-à-face, c’était important de filmer les rencontres d’Hélène avec d’autres personnes qui sont évidemment des reflets de nous tous. Je voulais capter la manière dont les autres lui posent des questions, la regardent, sont ébahis ou gênés. Cela nous parle de notre propre rapport. Et puis, c’était intéressant aussi de voir comment, elle, vivait ce rapport aux autres. Pour le montage, je voulais aussi qu’il y ait des plans d’écoute, des plans d’attente où les autres regardent. Il fallait que la parole circule. Et puis, c’est quand même magique dans le cinéma direct quand on se transforme en petite souris!


Avant d’être fasciné par le personnage, le spectateur peut ressentir une gêne au début du film en regardant Hélène. Comment avez-vous travaillé avec ce sentiment?

Ce malaise était voulu, au sens où il est difficile d’y échapper. Mais au montage il a fallu trouver un équilibre. Je ne voulais pas que le spectateur soit envahi par cette première impression de malaise qui nous met face à nos a priori, face à notre propre regard sur l'autisme. En même temps, je souhaitais tout de même qu'il vive cette sensation de gêne. D'autant que rapidement dans le film, plus on s'approche du personnage d'Hélène, plus on finit par être complètement séduit. On se rend compte que c'est finalement nous qui sommes handicapés, nous qui ne comprenons rien. J'ai essayé que ce court moment, entre le début du film et le moment où le spectateur se laisse captiver par Hélène, ne soit pas vu comme du voyeurisme. Lorsqu'on entend ses premiers textes dans le documentaire, on ne peut pas croire que c’est elle qui les a écrits. Même quand on nous le dit, on reste incrédule et on pense que c’est sa mère qui écrit. C’est un cheminement que je souhaitais que le spectateur vive. Je souhaitais qu’il puisse vivre ce voyage, cette progression, cette errance. Nous sommes sur un chemin, exactement comme dans la scène où Hélène est sur un chemin et où elle vacille un peu. Nous aussi, nous devons vaciller un peu avec elle.

  

Avez-vous trouvé votre place facilement, à la fois dans votre relation avec Hélène, mais aussi dans celle, très proche, qu’elle entretient avec sa mère Véronique ?

Oui, tout s’est fait très naturellement. Quand on passe régulièrement du temps avec des personnes, que l’on donne de soi, on est forcément parti prenante! L’engagement est complet quand on réalise un film de ce type. J’ai toujours la caméra avec moi, mais je ne filme pas non plus tout le temps. Tout reste fluide, vivant et naturel.


Sur combien de temps le projet s’est-il déroulé?

Le film s’est tourné sur une période de deuxTous les deux àmois, je voyais Hélène et je la filmais pendant trois, ou même un mois selon ce que nous faisions. La création du spectacle s’est faite en deux temps, d’abord au théâtre de Clermont, puis à Avignon. Avant, je suis également allée la voir chez elle.


L’une des difficultés du film était de parvenir à faire exister l’écrit, c’est-à-dire les textes d’Hélène en eux-mêmes. Comment avez-vous abordé cet aspect pour finalement transformer le spectateur en lecteur?


L’idée d’intégrer ses textes et ses lettres dans le film est apparue au montage. Nous avions conscience qu’elle écrivait de manière tellement dense que, pour en saisir pleinement le sens et savourer le plaisir de ce qu’elle composait, il fallait avoir le temps de lire et d’entendre. (…) Nous avions besoin d’avoir le temps de s’imprégner de son écriture, le temps que les mots se fassent pour, à la fin, avoir complètement intégré sa phrase. Je souhaitais que les spectateurs puissent avoir une expérience similaire. D’où le fait que j’ai choisi de mettre directement les lettres et les textes dans le film. Ils deviennent alors comme des petits tableaux, visuellement beaux à regarder et qui font entendre son univers.


Le film se clôt sur son succès à Avignon. On pourrait s’attendre à ce que la dernière image soit celle où on la voit saluer son public. Or, le film s’achève dans le silence, par un plan d’Hélène où elle s’enfuit en courant

J’ai filmé tous les saluts qu’Hélène a réalisés durant ses trois semaines à Avignon. Mais quand j’ai filmé ce plan dans la Chartreuse, qui est d’ailleurs le tout dernier que j’ai fait d’elle, je n’arrivais plus à filmer. J’avais tout vidé, tout était là!


Le Blog documentaire, Fanny Belvisi


  

ENTRETIEN AVEC LA RÉALISATRICE

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