02-03-Alam le drapeau_Extraits critiques

PROPOS du REALISATEUR

En quoi Alam - Le drapeau, est-il un film intimement lié à votre histoire? Tamer, un adolescent palestinien un peu perdu vivant en Israël, est-il une partie de vous-même ?


J’ai en effet transposé mon adolescence, à l’époque actuelle. Toute l’histoire est basée sur ma propre expérience.


L’histoire se déroule pendant la commémoration de l’indépendance d’Israël en 1948 et quelques jours avant la commémoration pacifiste de la Nakba («la catastrophe» en arabe), jour de deuil pour les Palestiniens qui se souviennent qu’entre 1947 et 1949 environ 800 000 Palestiniens ont été expulsés de leurs terres par les forces israéliennes. Pourquoi avez-vous choisi de relire ce contexte à travers les yeux de la jeunesse, cette troisième génération de la Nakba?


Celle que je décris dans le film (…) est très fière et n’a pas peur de se confronter à l’ordre établi. Je suis convaincu que c’est cette génération qui mènera à la libération de la Palestine. Je voulais poser ma caméra sur ces individus qui sont rarement dépeints dans les médias. Et je voulais montrer au monde que ces adolescents que l’on a l’habitude de traiter comme des chiffres et des statistiques dans l’actualité ont des histoires. C’est le réel propos du film. Les personnages ont en effet une histoire personnelle et des engagements qui leur sont propres. Tous ne sont pas engagés dans la résistance, ni dans une lutte quotidienne contre l’occupation. Parce que les gens qui connaissent une catastrophe ou une invasion continuent majoritairement à vivre leur vie. Il y aura toujours des gens politiquement plus éveillés, et d’autres qui continueront leur quotidien. C’est un schéma que l’on retrouve dans n’importe quel contexte d’occupation, partout dans le monde. Je ne voulais pas décrire la Palestine comme un endroit en feu, où les gens sont en survie. Ce n’est pas la réalité. Ces jeunes continuent à vivre. Et à mener une vie d’adolescent lambda, éveillée par le sentiment amoureux et amical .


De nombreuses scènes sont tournées en classe et abordent le problème des réfugiés palestiniens à travers une perspective israélienne. Or, durant cette période, 800 000 Palestiniens  ont été chassés. De quelle manière votre film participe-t-il au devoir de mémoire ?

  

Je viens d’un village qui a été victime d’un nettoyage ethnique. Tout le village est devenu un camp de réfugiés en un jour. Les villes et villages palestiniens ont totalement été vidés de leurs habitants, lesquels ont fini par travailler pour les Israéliens, dans la construction de maisons et dans les champs. Nous sommes parvenus, ma famille et moi, à revenir en Palestine. On a pu étudier l’histoire de notre terre, mais pas celle de notre catastrophe, la Nakba. Mon grand-père, par exemple, était fermier et a dû ensuite construire des maisons pour le compte d’Israéliens Israël. On parle ici d’une population native qui a été privée de ses droits et de sa dignité. Donc, oui, je veux mettre la lumière sur cette histoire pour la confronter au récit national israélien, qui réécrit celle des populations qui vivent encore là– bas.


Où avez-vous tourné ? Quelles difficultés avez-vous rencontré pour financer le film ?

J’ai tourné en Tunisie. J’ai choisi ce pays pour des raisons de budget. J’ai rencontré beaucoup de difficultés à réunir de l’argent pour faire ce film. Cela m’a pris 10-11 ans avant de réunir le budget nécessaire. Personne ne voulait soutenir ce projet en raison de son parti pris narratif. Les fonds européens de financement se basent sur les politiques étrangères de leurs pays pour qui les événements de 1948 ne correspondent pas à l’année de l’occupation d’Israël en Palestine mais à l’indépendance d’Israël. Personne ne voulait soutenir mon scenario, qui affirme qu’Israël est un envahisseur ayant colonisé la Palestine. (…)


Alam est-il un film militant et le moyen pour vous de résister ?

Je vis désormais en Tunisie. Mais j’ai vécu de nombreuses années en Palestine. La vie là-bas est presque vide de sens, brutale. Nos vies ne comptent pas, vous pouvez être tué à tout moment. Mon film est un acte de résistance face à cette situation et cette réalité tragique. Où il est question de tenter de vivre sa vie le plus normalement possible, en dépit du sang. En cela, oui c’est un film politique.


Propos recueillis par Eva Sauphie

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