07-03-Eclairages sur la réalisation du film

ENTRETIEN AVEC LES CO-RÉALISATEURS

Entretien avec Sylvain Beaulieu et Nicolas Contant


Contre toute lumière met au travail une notion en vogue aujourd’hui, celle de résilience. Comment as-tu travaillé cela dans la fabrication du film ? Quelles étaient tes intentions, les idées que tu ne voulais pas lâcher?


SYLVAIN – Oui, le film parle de résilience, mais ce n'est pas un mot que j'emploie. Je souhaitais au départ mettre en scène l'émancipation par le clown, le burlesque. Le film tisse le récit intime et subjectif de mon chemin de guérison. Qu'est-ce qui nous tient debout, qu'est-ce qui nous relie au monde et à la vie?


Comment as-tu mis en scène ta malvoyance?


SYLVAIN – Initialement je voulais faire collaborer le miro que je suis avec un chef op', Nicolas en l'occurrence, pour fabriquer du flou et simuler ma vision, inventer une passerelle en images entre moi et le monde. J'ai par la suite abandonné cette idée après quelques expérimentations, pensant qu'il serait plus fort de ne pas montrer le flou mais de le laisser émerger dans l'imaginaire du spectateur, en mettant en scène les multiples maladresses et accidents qui jalonnent mon quotidien.


NICOLAS – Oui, assez vite nous avons cherché non plus à restituer la vision de Sylvain mais bien à mettre en scène son regard, notamment en cherchant du côté du documentaire autobiographique. Nous avons pensé assez tôt à ce que Sylvain tienne un journal filmé au téléphone portable, en assumant le fait que ces images soient d'une qualité objective limitée par les possibilités de l'appareil (flare, contrejours, pixellisation) et qu'elles soient parfois chancelantes et décadrées.


Nicolas a d'abord été ton directeur de la photographie du film, finalement, il coréalise le film. Qu’est-ce qui vous a donné envie de faire ce film ensemble?


SYLVAIN – La vie nous a poussé l'un vers l'autre. Le désir de film est né d'une réflexion autour du clown, du burlesque comme espace d'ouverture et de liberté. Une phrase résume bien mon intuition première : « ce que je joue de moi ne se joue plus de moi ». Par quelle singulière trajectoire devient-on clown? Nous avons exploré cette question lors des premiers repérages, et, de fil en aiguille, de doutes en impasses, le choix du documentaire autobiographique s'est imposé. Tout mon chemin intérieur a consisté à dépasser les infinies résistances et blocages, et c'est grâce à la solidité de Nicolas, à la confiance qu'il a su m'insuffler, à sa générosité, aussi, que j'ai réussi à avancer. Il a été le pilier sans lequel le film n'aurait jamais vu le jour.


  

NICOLAS – Sylvain est un ami. Nous nous sommes rencontrés un peu avant de commencer à travailler ensemble. Je suis singulièrement touché par son rapport au monde, ses questionnements politiques et sa capacité à dépasser par la dérision ce que d’autres appelleraient son handicap. Dans la collaboration réalisateur / directeur photo, il nous est apparu que je devais m’investir dans l’écriture cinématographique du film et dans sa mise en scène. Il y avait quelque chose de fondamental qui se jouait dans le non verbal, quand Sylvain va à la rencontre de ses proches. Ce choix de la coréalisation peut paraître paradoxal pour un film autobiographique. Par cette coréalisation, son film échappe donc dans une certaine mesure à Sylvain – au même titre qu'il a accepté que certaines choses lui échappent dans la vie depuis qu'il a perdu la vue. Dans cette perte de maitrise, il y avait à jouer et Sylvain est joueur.


Cette perte de maitrise est radicale lorsque surgit une nouvelle maladie au cours du film. Sylvain, tu nous embarques avec tes amis dans un processus de guérison à la tonalité à la fois mystique et loufoque. Est-ce un film sur l’amitié d’une certaine manière?


NICOLAS- Oui, je le crois. C’est l’amitié, la fraternité qui est soignante. Plus largement, je dirai peut-être que ce film est un film sur la relation à l’autre. Dans le cas de Sylvain, perdre la vue a été un renversement qui lui a permis contre toute attente une ouverture du champ des possibles à partir du moment où il a accepté puis sollicité l’aide des autres Les maladies le redéfinissent comme fils de ses parents, père de sa fille, ami de ses ami·e·s. Nous avons cherché à saisir ces enjeux relationnels. J’espère avoir aidé Sylvain à trouver la bonne distance pour que cette expérience intime ait une portée plus générale ; je pense que ma présence a permis de donner de l'air à l'espace familial et intime dans lequel se joue le film.


Comment s’est passé la fabrication du film à quatre mains?


NICOLAS – En parlant beaucoup de tout à toutes les étapes, en dérushant régulièrement les images du journal filmé.


SYLVAIN – Il y avait un triple enjeu : il s'agissait de réaliser un premier film, de prendre le risque de l'autobiographie, et de tenter comme malvoyant de m'approprier le langage du cinéma. Un pari vertigineux! Je pense qu'il y a eu deux grandes bascules. Tout d'abord, Nicolas m'a persuadé de prendre le risque du documentaire à la première personne et j'ai par la suite désiré m'impliquer dans la fabrication des images, ce geste s'est révélé déterminant. Mon parcours de vie, mis en images au présent dans mon journal filmé, a construit le récit. Concrètement, nous avons très rigoureusement dérushé tous mes journaux filmés, ainsi que les images que Nicolas a tournées, ce qui nous a permis d'avancer main dans la main dans l'élaboration du récit de l'écriture jusqu'au montage. Par ailleurs, je considère que Camille Fougère, la monteuse du film, est la troisième coréalisatrice, tant son apport a été essentiel.

Dossier de presse

Eclairage sur la réalisation du film