ENTRETIEN avec Mohammad RASOULOF
Interview Télérama
Comment allez-vous et comment va la censure en Iran?
Moi je vais très bien. Et la censure en Iran ressemble à une grande salle obscure avec un plafond très haut, très sombre, où est diffusé une musique effrayante. Et nous sommes quelques-uns à nous regrouper, en raison de la musique que nous entendons, nous avons peur même les uns des autres. On ne sait pas à quel moment la lumière va revenir car peut-être que toute la peur qui nous habite c'est nous-mêmes qui nous l'inventons. Et nous avons peur d'avancer dans le noir. Nous ne faisons rien pour changer. Ce ne sont pas les censeurs qui sont responsables de la situation. Nous le sommes encore plus qu'eux.
Vous pouvez voyager facilement?
J'habite entre Téhéran et Hambourg. Mais à chaque fois que je passe à l'aéroport, je crains de ne plus pouvoir voyager. Mais si je n'accepte pas de vivre avec cette peur, je ne peux pas vivre. Ce qui motive la création, c'est le refus de céder à cette peur. Depuis 2011, je n'ai plus été arrêté mais j'ai été interrogé de nombreuses fois. Mon interdiction de sortie du territoire a duré un an et a été médiatisée. Ce qui a eu un effet négatif pour l'Iran, qui préfère désormais éviter de maltraiter les artistes. La censure est toujours exercée, mais de façon plus sournoise. La censure est devenue plus intelligente.
Vos scénarios sont-ils validés sans problèmes?
Comme j'avais fait pour Au revoir, j'ai d'abord écrit une version qui puisse passer la censure en éliminant les scènes qui pourraient poser problème. Cela devient une autre histoire édulcorée où je n'ai gardé que mes décors et mes personnages. Une fois que j'ai l'autorisation, je ne m'en vante pas, et je tourne la version conforme à mes intentions de départ. Je suis honteux de devoir mentir mais je n'ai pas le choix.
Aucune représailles?
C'est très compliqué. Le comité de censure te dit que tu ne peux plus tourner et que si tu désobéis, c'est le système judiciaire qui s'occupera de toi. Mais bon, si on me ferme une porte, une autre s'ouvrira. Je n'attends pas leur approbation pour faire des films. Quand j'ai quelque chose à dire, une histoire à raconter, et le pouvoir de le faire. Je le fais. Je n'attends personne.
Que signifie Lerd, le titre original?
Le dépôt du vin, le sédiment qui reste au fond de la bouteille, la lie. Mais c'est une métaphore, bien sûr. Le distributeur a préféré un titre plus explicite, Un homme intègre, que j'aime beaucoup.
La corruption en Iran, le thème de votre film, est-elle le symptôme ou la maladie de la théocratie iranienne?
Je peux essayer de schématiser pour vous fournir une explication mais la réalité est beaucoup plus complexe. Le problème réside dans la culture commune, le fait que la population s'est résignée. Elle est obligée de payer des pots-de-vin et d'en faire payer. Elle n'a pas le choix. C'est inscrit dans le mode de fonctionnement du pays. Ce système lui-même a été mis en place par le pouvoir politique sur de nombreuses années. Les valeurs sociales onté le pays vers cette culture-là. Pour en sortir, il faut commencer par l'éducation, la famille. Changer la culture sans passer par l'éducation, c'est impossible. Mais l'éducation nationale, les médias, la télévision: tout est entre les mains du pouvoir, donc c'est un cercle vicieux. Je ne sais pas comment rompre ce cercle pour pouvoir espérer une réforme.
Dans votre film, l'épouse du héros a une réplique splendide: «La fiertéhommes crée des problèmes que l’intelligence des femmes doit bien souvent arranger.»
La structure sociale en Iran arrive même à mettre à mal la relation amoureuse. Les fondements de la famille éclatent en raison du système. Le mari et la femme deviennent des adversaires. Quel est le sens de l'amour aujourd'hui en Iran? La réponse à cette question nous amène très vite à la politique.
Télérama, Samuel Douhaire
Extraits critiques