Propos de la réalisatrice
« Je n’ai pas cherché à avoir des personnages dits représentatifs. Ça, c’est un principe télévisuel. Ce qui m’intéresse, ce sont des personnalités. Enfin, il me semblait plus intéressant que ce soient les paysans qui témoignent du rapport à l’extérieur, et racontent en particulier comment cela s’est passé avec les quatre cents gauchistes d’obédiences très diverses, des non-violents aux maos en passant par le PSU ou les trotskistes, venus les aider. Et qui étaient le contraire d’eux, à tous égards. »
Entretien Politis
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Comment avez-vous établi la balance entre images d'archives et ce que vous avez tourné ?
C'était mon souci... Eux ont beaucoup tourné. Léon Maillé était le filmeur, son journal servait dans les meetings. On les commençait avec les images tournées en super-8 par Léon Maillé. Il y avait quasiment tout. Je voulais préserver l'imaginaire cinématographique du spectateur, qu'il ne soit pas enfermé dans des images d'archives. Je ne les ai utilisées que dans un souci dramatique, pas dans l'idée que c'est une preuve de quelque chose. J'ai tout remonté - les femmes qui arrêtent un convoi militaire ou la conférence de presse de Giscard, à chaque fois dans une logique dramatique. Je les ai toutes recadrées puisque la plupart avaient été tournées en super-8, dans un format plus carré. Cela m'a permis de retravailler l'image. J'ai accéléré, ralenti, passé en noir et blanc certaines images en couleurs, je n'ai pas respecté l'ordre chronologique. J'ai utilisé les archives comme de la matière filmique sans souci du référent. Bien sûr, ce n'est pas totalement indépendant, mais je me suis donné beaucoup de liberté. Je m'aperçois que ça ne gêne personne, parce qu'on est embarqué dans un récit qui est de l'ordre de la fiction. »
Propos recueillis par Thomas Sotinel
(Le Monde : 22/11/2011)
« Le système nous veut triste et il nous faut arriver à être joyeux pour lui résister, disait Gilles Deleuze. Je voulais que “Tous au Larzac” soit un film gai, et, malgré les enjeux dramatiques, un film léger. D’abord parce que la lutte est souvent réjouissante, c’est particulièrement vrai pour celle du Larzac, dont certains épisodes font irrésistiblement penser à Guignol et Gnafron rossant le gendarme. Nombreux sont d’ailleurs les protagonistes qui avouent le plaisir qu’ils y ont pris. Mais surtout parce qu’ils en font le récit avec beaucoup de truculence et d’humour. Ils ont par rapport à ces “grands évènements” un recul, une distance ironique qui les empêcherait de se prendre pour des héros s’ils en avaient le penchant. Et ce savoureux accent aveyronnais qui les faisait acclamer dans les meetings ajoute un petit air d’espièglerie aux plus sérieuses considérations stratégiques.
Ce film est une donc une invitation à porter un regard neuf sur les années 70, qui ont vu toute une génération tenter de mettre en pratique les rêves de mai en prolongeant une insurrection qui leur avait laissé le goût amer de l’inachevé. Je voudrais que cette histoire, on puisse s’en nourrir pour regarder notre monde, ici et maintenant. Ce qui a caractérisé les luttes de cette période, n’est pas, comme on l’a dit parfois, le dogmatisme gauchiste, mais au contraire une incroyable liberté d’invention et de ton, une fierté, une insolence, une imagination sans bornes. Cette capacité à inventer des moyens inédits de se défendre collectivement nous fascine car elle semble faire défaut aujourd’hui, ou tout au moins souffrir sous le boisseau des structures mentales anciennes, des modes médiatiques, de la résignation et du découragement aussi. Dans cette mesure, le Larzac nous parle de nous aujourd’hui.
Il y a dans cette histoire matière à rêver d’une société où il est possible de dire non à l’inacceptable, où il est possible d’imaginer ensemble, où l’individu trouve sa place dans une communauté vivante qui ne fait pas de lui un simple exécutant de décisions prises forcément au-dessus de lui. »
Christian ROUAUD (Note d’intention)