Oslo, 31 août_Extraits critiques

« Ma philosophie est de garder à la fois la force des images et des personnages. J'essaie de combiner une approche assez formelle de la mise en scène avec quelque chose de vraiment épidermique, une sensibilité directement humaine. Je n’aime pas que la force visuelle d'un film laisse de côté les personnages et les réduise finalement à des concepts. Mais je n’aime pas non plus le cinéma qui est uniquement fait sur la proximité avec les personnages, sur le fait de coller aux acteurs avec une caméra pour tirer d'eux toute l'émotion. J'aime que le cinéma montre un sens de l'espace et j'ai cherché cela en tournant Oslo, 31 août dans la belle lumière de l'été en Norvège. Et j'aime que le cinéma soit aussi une vibration, comme du jazz, une émotion, et c'est aussi ce que j'ai cherché dans Oslo. »


Propos recueillis par Frédéric Strauss (Télérama.fr  29/02/2012)


Oslo, 31 août est le portrait d’un personnage mais aussi celui de la ville qui lui donne son titre. C’est la base du projet ?


… Mon coscénariste, Eskil Vogt et moi, aimions beaucoup le roman de Drieu La Rochelle, Le Feu follet. Nous avons compris que si nous déplacions l’histoire à Oslo, que nous  connaissons par cœur, nous pourrions instinctivement créer quelque chose  à partir de l’environnement social de la ville. D’un côté nous nous sommes appuyés sur le livre et de l’autre sur la ville. Grâce à  cela, nous avons pu être très réactifs et écrire le film en quatre mois seulement. A un premier niveau, l’expérience de la ville sert à restituer ce qu’inspire telle ou telle rue, d’un point de vue émotionnel. Mais sociologiquement parlant, j’essaie de décrire du point de vue culturel, la classe moyenne-supérieure de ces gens de gauche qui ont grandi avec un certain intérêt pour l’art et qui sont devenus des «nouveaux riches» conservateurs. En Norvège, avec le boom du pétrole de l’année 80, beaucoup de gens se sont enrichis comme la famille du personnage d’Anders. Mais ils ne peuvent plus maintenant vivre dans les quartiers où ils s’étaient installés à l’époque... 

Il y a une certaine variété dans vos choix techniques. Notamment un usage appuyé du travelling.

 

- Mon langage filmique, quand  je tourne, n’est pas homogène. Je veux être capable d’utiliser toutes les possibilités techniques. Parfois je vais favoriser les gros plans, parfois la caméra portée, parfois les rails. Dans l’histoire du cinéma certains ont voulu trouver le bon objectif, la bonne distance, le bon mouvement. Pour moi, le cinéma moderne, c’est la mixité. Pas question de ne tourner que d’une seule façon. Nous avons consacré presque tout notre budget à un tournage en 35 mm. Il s’agissait de pouvoir observer l’image de cette ville en profondeur et sans discussion possible, le 35 mm est toujours le meilleur support. Cela va changer, j’en suis sûr, mais pour l’instant, c’est encore le cas. C’est pareil pour les rails de travellings. L’idée de tridimensionnalité, de traitement spatial, d’exploration des espaces est importante. Cela ne veut pas dire qu’il faut à tout prix bouger. Mais que chaque mouvement - d’un visage, d’un corps ou d’un dialogue  - doit d’une façon ou d’une autre être prolongé  par un mouvement ce caméra. Je n’ai rien contre les plans séquences à l’épaule mais la méticulosité d’un cadre ou d’un travelling contrôlé peut parfois créer quelque chose de spécial. Mon cinéaste préféré est Tarkovski. Et j’adore le travail de Sacha Vierny pour Alain Resnais.

 

L’évocation de Resnais pourrait aussi renvoyer à votre travail sur la mémoire et les souvenirs, notamment dans le prologue d’Oslo.

 

D’un point de vue personnel, j’ai été depuis l’enfance par les souvenirs. A cinq ans, je me revois assis sur un vélo, me disant : « Je décide maintenant que je me souviendrai de ce moment tout le reste de ma vie. » C’est une expérience humaine basique qui va de pair avec le développement d’une identité personnelle. Mais il y a aussi une tradition dans le cinéma, chez Chris Marker, par exemple, qui part d’une approche très subjective de la mémoire. »

 

Entretien (extraits) réalisé par  Thierry Méranger à La Rochelle le 6 juillet 2011 (Cahiers du cinéma N° 676 ; mars 2012)

Propos du réalisateur : «J'aime que le cinéma soit aussi une vibration, comme du jazz