Pater_Extraits Critiques

Propos croisés (mais imaginaires) entre Alain Cavalier et Vincent Lindon. Mais les propos indiqués en italiques et entre parenthèses sont exacts et sont extraits d’entretiens accordés à Libération et aux Inrockuptibles.

EXTRAITS CRITIQUES

Alain Cavalier : « Dès le premier jour du tournage de mon premier film, Le Combat dans l'île (1962), quand Romy Schneider s'est présentée devant moi toute maquillée, j'ai ressenti l'anormalité de la situation, ou plutôt que les acteurs professionnels, ce n'était pas pour moi. C'est difficile à expliquer, mais j'avais l'impression qu'ils prenaient un pouvoir qui était le mien. Par exemple, toute ma vie je me suis battu, avec succès, pour qu'aucun acteur, même une vedette, ne soit mieux payé que moi sur un plateau. Sinon, c'est anormal. Et puis, sur un tournage, beaucoup d'acteurs jouent pour l'équipe technique. Il m'est même arrivé de voir des techniciens applaudir à la fin d'une prise. C'est inconcevable pour moi ! »

 

 Vincent Lindon : Monsieur Cavalier "Ça me rendrait vraiment triste si dans ma carrière, je n'étais pas un jour filmé par vous"

Alain Cavalier : « Écoutez, je crois que je ne retravaillerai jamais avec des professionnels. Mais si je devais un jour en filmer un, ce serait vous. Ça peut paraître un retour de compliment, mais je le pense vraiment. »

« Comme « J’avais l'impression, après Le Filmeur, puis Irène, de tourner un peu en rond dans mon cinéma très autobiographique, ou plutôt de me heurter un peu trop à ma propre image » j’ai appelé Vincent :

« Écoutez, Vincent, j'ai eu hier une idée à propos de vous. Je me suis vu vous filmant. Je ne sais pas comment. Si ça se trouve, ça ne se fera pas du tout. Mais je voulais vous le dire, j'ai eu une petite pensée... »

Un peu plus tard :

Allo Vincent, « Je crois que j’ai une idée pas mal. On va commencer la semaine prochaine, et si ça ne va pas, on arrêtera. Je vais venir dormir chez vous le premier soir, vous filmez, et peut-être qu’on va parler un peu de la France. »

 Vincent Lindon : « Avant le départ, Alain m’a donné dix pages qui étaient comme les dix commandements Pater I Pater II, etc. Mais c’étaient les intentions pas un script. Pour le reste, on prévoyait l’imprévu. Parfois je vérifiais pour lui les signaux du son, il ajustait son cadre. Et allez, on filmait… .

Rien n’était écrit, aucun dialogue à apprendre

Et une seule prise ! À chaque fois, une seule prise. C’est un film où je n’ai jamais entendu « moteur », « action », « on la refait ». C’est inouï ! ».

 

 Alain Cavalier : Sur les soixante-dix-sept heures de rushes, j’en gardé une trois quarts. « Je montais au fur et à mesure. Le tournage a couru sur toute l'année 2010. Je laissais reposer les bandes quelque temps pour oublier l'euphorie du tournage et pour pouvoir les regarder avec un peu d'objectivité. Le film est né petit à petit. Il m'a guidé. Je n'avais plus qu'à le suivre."

 Vincent Lindon : « Bon, soyons francs, Cavalier a beaucoup coupé, heureusement. Souvent, nous tenions des propos de comptoir comme tout le monde peut en tenir dans la vie ! »

 Quelques semaines plus tard

  Vincent Lindon Alain m’appelle : « Vincent, vous savez, je crois que le film est terminé… Pour moi, sur le plan professionnel, ce fut la plus belle année de ma vie. » 

 Mais en fait « j’ai découvert le film trois semaines avant Cannes. Je l’ai pris en pleine poire  et j’ai été très choqué. Je suis sorti effondré de la projection, j’ai été mal toute la journée. J'ai mis du temps à comprendre pourquoi... Bon, c'est vrai que pour la première fois je me voyais dans un film tel que je suis dans la vraie vie, avec mes tics... »

Alain Cavalier : « Tous les acteurs ont des problèmes avec leur image, c'est inhérent à ce qu'ils sont, à leur métier. J'ai changé mes moyens de produire des films, mais le cinéma est mon métier : j'ai donc tout fait pour montrer Vincent à son avantage. Mais oui, il a eu du mal à accepter de se voir comme cela, au début. Pourtant, pour moi, au-delà d'un film sur le pouvoir et les luttes de pouvoir, Pater est un documentaire sur lui. »

Enfin, en mai 2011, à Cannes, Pater a reçu 17 minutes d'applaudissements et de standing ovation de la part des spectateurs de la salle Lumière du Palais des Festivals.

 Vincent Lindon : « La plus belle projection, c’est celle de Cannes. Un grand moment humain. L’horreur aurait été d’être associé à un échec dans le cerveau de Cavalier. C’est ce qu’il y a de pire. Le genre de tache indélébile… L’idée de l’échec, chez moi, c’est une angoisse où toute la pression familiale de l’enfance me remonte à la gorge. »

 Alain Cavalier : « Au début, on est émus, et puis au bout de quelques minutes, on ne sait plus quoi faire ni dire, alors on continue à sourire en se disant que ça va s'arrêter. Mais non, les gens continuent à applaudir, comme s'ils ne voyaient pas que ça ne peut plus rentrer. »