Quatre_nuits_avec_Anna_extraits critiques

EXTRAITS CRITIQUES

Propos du réalisateur


« Quatre nuits avec Anna » a été choisi pour faire l'ouverture de la Quinzaine des Réalisateurs lors du 61ème Festival de Cannes. Ce film marque le grand retour de Jerzy Skolimoswki qui n’avait rien tourné depuis Ferdydurke sorti en 1991. Depuis ce film, il vit en Californie où il s’est adonné à la peinture.

« J'avais enfin le temps de peindre tout ce que j'ai voulu peindre dans ma vie. J'ai exposé aux États-Unis, au Canada, en France, en Pologne. La peinture a toujours été l'art qui m'intéressait le plus. J'ai peint dès mon adolescence, ensuite je n'avais plus le temps. Une chose a contribué à ce que je revienne à la peinture, c'est qu'avec l'âge et les expériences pas très heureuses que j'ai éprouvées quand je faisais mes films, j'ai développé une certaine aversion à côtoyer des gens. Dans cet état psychique d'il y a quinze ans, je ne pouvais donc plus envisager de faire des films. Je me suis enfermé dans mon atelier, je me suis reposé de la fatigue causée par toutes ces personnes. Et cela fait à peu près un an que je me sens de nouveau prêt. »

« Je voulais une attitude ambivalente. Que le spectateur veuille le défendre quand il est condamné, mais d'un autre côté qu'il ne soit pas acceptable à 100 %. Il éveille un certain soupçon, comme s'il y avait en lui une tendance à s'auto accusé. Il est témoin d'un viol : peut-être cette vue l'a-t-elle fasciné, peut-être était-il trop lâche pour intervenir. Je ne voulais pas un héros sympathique, je veux qu'il soit vu de haut, avec une certaine condescendance, par la plupart des spectateurs (...) C'est un personnage à la limite de l'autisme. Il ne participe pas au monde. Pendant le viol, il est surpris de voir la vie lui présenter quelque chose de si incompréhensible. Le monde prend sa revanche sur lui au tribunal. Il ne répond pas, son visage est absent. Pour mon propre usage, j'appelle cette grimace “le visage de Buster Keaton”. Comme s'il était à côté (...) Le seul moment où j'ai senti ma gorge se serrer au cinéma, c'est pour au hasard Balthazar. Mon personnage est aussi limité que cet âne (...) cette merveilleuse tristesse ne consiste pas seulement en une grimace, elle touche le corps entier. À Hollywood, je ne pourrais pas avoir cette finesse de trait ; il faudrait que le personnage soit plus criard. »

« La Pologne est un pays assez surréaliste. Le surréalisme renferme et le côté ridicule et le côté tragique. La première image qui m'est venue à l'esprit est celle de la vache qui flotte sur l'eau. Léon, le personnage, va à la pêche et je voulais que dans cette situation normale de sa vie, il y ait un signal qu'il allait se passer des choses bizarres (...) Il y a aussi dans cette région un choc de cultures : c'est à la frontière entre l'ancienne Pologne et l'ancienne Prusse orientale. L'influence allemande est perceptible dans l'architecture de l'hôpital et en même temps les petites maisons sont polonaises. Cette histoire est placée partout et nulle part. Cela ne m'intéressait pas de montrer des voitures, des portables, des téléviseurs... »

 

Quelque chose a-t-il changé dans votre mise en scène ?

« Le rythme n’est plus le même. La période des années 60 était frénétique. Je suis devenu un petit plus contemplatif avec le temps. Sans perdre de l’étrangeté, je dirais. Je veux retourner à la source de la joie de filmer. J’ai connu le cinéma jeune et fougueux des années 60, on m’appelait le boxeur du jeune cinéma, car j’avais vraiment été boxeur, pas une terreur, mais quelques combats gagnés, je me suis frotté aux grands budgets américains, j’ai fait l’acteur par amitié pour Tim Burton et Cronenberg, j’ai tourné dans des conditions extrêmes : sur un bateau au Liban sous les bombes, dans le Londres psychédélique… En cinquante ans, j’ai couvert tout le spectre. »

Propos recueilli par Philippe Azoury (Libération : 5/11/2008)