Retour_normandie_2

PROPOS DU REALISATEUR 



Jeune assistant et chargé de casting avec Gérard Mordillat  sur le film de René Allio, Nicolas Philibert décrit son travail de recherche auprès des paysans normands : « Il allait falloir battre la campagne à la recherche de nos personnages, vaincre le scepticisme avec lequel ils accueilleraient le projet, le rendre crédible à leurs yeux, et réussir à les entraîner dans une aventure à laquelle ils n'étaient absolument pas préparés. Avec Gérard Mordillat - l'autre assistant - nous avons donc passé près de trois mois, allant de ferme en ferme, de comice agricole en réunion syndicale pour trouver les acteurs et faire partager notre conviction »

Le film de René Allio exerça une profonde influence sur son œuvre : «  Plus tard, avec le recul, j'ai mesuré la chance que j'avais eue de participer à cette aventure singulière, inédite dans le cinéma français, et avec les années, ce film ne m'a jamais complètement quitté. Il a même sans doute irrigué mon propre travail, comme une "rivière" souterraine. Probablement parce que fiction et documentaire y étaient étroitement enlacés. »

Le film représenta aussi une étape décisive pour ses acteurs amateurs. Retour en Normandie est en ce sens un film réflexif qui parle du cinéma et de sa faculté à lier les individus les uns aux autres, même des décennies plus tard. « La plupart des témoignages recueillis évoquent cette dimension du collectif, puisque le film revient sur une expérience de cinéma partagée. On comprend que pour eux aussi, le tournage d'Allio a été une expérience déterminante, voire fondatrice, comme elle l'a été pour moi. À la fois parce qu'elle rassemblait des gens qui ne se seraient pas rencontrés autrement, mais aussi parce qu'elle nous tirait vers le haut. »

C'est l'ignorance de l'œuvre de René Allio qui a poussé Nicolas Philibert à se lancer dans ce projet: "Fin 2004, la Fémis m'a invité à venir présenter aux étudiants un film de mon choix. J'ai proposé Rivière. Aucun d'eux ne l'avait vu. La plupart ne connaissait même pas le nom d'Allio, moins de dix ans après sa mort. Ça m'a glacé. À l'issue de la projection, au lieu de faire un débat, comme convenu, je leur ai lu des textes pendant une heure : des notes prises par Allio sur son film, des extraits de ses " Carnets "... Ils découvraient un cinéaste, une œuvre singulière, passionnante, et ils étaient scotchés. Je suis rentré chez moi et j'ai décidé de faire ce film."


« Que laisse-t-on derrière soi quand on fait un film ? On dit souvent que là où passe la télé, l’herbe ne repousse pas. Parce que la télé arrive en commando. Elle filme et s’en va. C’est brutal. L’outil télévisuel et son économie laisse très peu de temps pour construire des relations. Pour faire un documentaire, même pour Arte, vous disposez de 4 ou 5 jours là où moi je prends plusieurs semaines. Les conditions de productions sont très difficiles. C’est une question d’économie, celle de l’audimat, de la publicité et des annonceurs, plus que de personnes. In fine, ce sont ces éléments qui régissent les relations. Le cinéma, lui, peut prendre plus de temps pour construire et quand on est documentariste, cette question de « l’après » est encore plus cruciale.  »

Entretien avec N. Philibert (Fluctuat.net)