EXTRAITS CRITIQUES

L’écume la plus visible, et certainement la moins glamour, c’est l’immigration clandestine. Ce n’est rien d’autre que l’affirmation de l’individu qui dit : « maintenant ce n’est plus possible parce que je n’accepte pas ces conditions-là; je ne peux pas me réaliser dans cet espace-là ». En Tunisie, en Egypte, les entrepreneurs, les avocats, n’étaient pas les plus visibles, mais ont joué un rôle fondamental. Aussi paradoxal que ça puisse paraître, je pense que c’est le même mouvement. Ce sont des gens qui ont juste envie de faire du business et qui disent qu’ils ne peuvent plus continuer à travailler dans ces systèmes véreux. De la même manière, notre génération ne peut plus accepter cette projection tellement manichéenne d’un Orient qui serait enfermé dans la dictature comme si un élan naturel les conduisait vers le despotisme. « Kefaya ! », « Ca suffit ! », c’est la phrase qu’on entend le plus dans le monde arabe. »

 

Entretien avec Leïla Kilani (Groupement national des cinémas de recherche)

 

« C'est une interrogation sur les transformations de ma ville, Tanger. Je voulais raconter ce port-là, ces filles-là. Je souhaitais évoquer, sans orientalisme ni esthétisme, l'injonction de la normalité sociale vis-à-vis de la femme arabe - et comment on peut la refuser. C'est un film sur la rage de vivre.

Dans le film, tourné avant le Printemps arabe, on assiste à un suicide social des personnages. Elles disent : ici et maintenant, il n'est pas possible de me réaliser. Ce qui peut paraître annonciateur de ce qui s'est produit dans le monde arabe. Je pense notamment aux immolations. Les jeunes disent que dans l'espace politique actuel ils ne peuvent que brûler leur identité. Cette fureur, celle qu'on voit dans le film, est politique.

Je n'ai pas réalisé un film prémonitoire. Je ne savais pas, bien sûr, ce qui se passerait ensuite. Mais décrire nos sociétés au sein desquelles les problèmes politiques ne sont pris en charge par personne, c'est laisser entendre que cela ne peut qu'exploser. Il n'y a pas besoin de lire dans le marc de café pour repérer cette colère. »

 

Propos recueillis par Renaud de Rochebrune

(Jeune Afrique : 06/02/2012)

« Ces filles pour moi sont un emblème de la transformation du Maroc, mais aussi d’une transformation plus vaste, qui a lieu partout. Ce sont des filles jeunes, qui arrivent, qui changent la ville. Elles sont dans un rapport à l’espace, un rapport à elles-mêmes, un rapport au temps, complètement différent. La manière qu’elles ont d’affirmer leur identité individuelle est totalement nouvelle, pas du tout idéologique. Ce flot d’humains qui vient buter sur cette ville à Tanger c’est un peu la Californie dans les années 1930 ou 1940, avec en toile de fond la récession qui frappe toute l’Afrique...


J’ai écrit le film à partir d’un fait divers. En 2005, je m’amusais à lire la presse à scandale marocaine. On parlait d’un nouveau trend : la féminisation de la criminalité. Une bande de quatre filles, un peu ouvrières, mais ce n’était pas tout à fait clair, repéraient des mecs dans les cafés et les dévalisaient. Il y avait eu un meurtre. À partir de cette matière, j’ai écrit un projet, et puis j’ai proposé à Hafed Benotman, un écrivain de roman noir... qui a aussi à son actif d’avoir braqué quelques banques, d’écrire avec moi. Le film noir n’était pas un choix de ma part mais une évidence...


J’ai toujours pensé que Tanger était une ville de polar. C’est indissociable dans le rapport à la ville. Cela tient à la tradition littéraire, à l’unité visuelle, au rapport à la violence... C’est une ville avec un imaginaire de la mafia, avec des héros magnifiés, une ville où il y a un rapport au temps très particulier qui fait que l’on est dans une tension permanente. Une ville interlope, faite de zones grisâtres... Il y a quelque chose d’excessif, de profondément romantique dans cette ville. Et puis il y avait cette idée qu’il était très difficile d’entrer dans la Zone Franche, que c’était comme un check-point, une citadelle barricadée. J’y voyais un motif de polar très fort. Le polar m’amuse. Il permet de vider un peu les choses de leur substance dramatique, d’être dans le ludique...


Les révolutions arabes ne se sont pas faites en un printemps. Cette génération-là, c’est ma génération. Il y a une communauté́ de comportements, un refus de l’aliénation de l’individu telle qu’on la subit depuis quarante ans.

  

Propos de la réalisatrice