EXTRAITS CRITIQUES

Née en 1970 à Casablanca,  après des études supérieures à Paris en économie, un DEA d'Histoire et de Civilisation de la Méditerranée puis une thèse à l'école des Hautes Études en Sciences Sociales, Leïla Kilani devient journaliste indépendante en 1997, avant de s'orienter vers le documentaire à partir de 1999.


Son premier film, Tanger, le rêve des brûleurs (2003), suit les candidats à l’immigration clandestine. Zad Moultaka, passages (2003) est une captation du quartet du compositeur libanais du même nom lors du festival 2002 de Beiteddine, l'un des plus importants festivals de musique du Moyen-Orient. La cinéaste y dresse un portrait singulier du musicien en évoquant son imaginaire et ses recherches musicales pour créer un langage très personnel à la charnière Orient-Occident.


Quant à Nos lieux interdits (2008), il s'agit d'une enquête sur les violences d'Etat sous les années de plomb, à l'occasion de la mise en place de l'Instance d'Equité et de Réconciliation par le roi Mohammed IV en 2004.


En 2011, la cinéaste tourne Sur la planche, qui suit, à Tanger, Badia et Imane, ouvrières dans un atelier de conditionnement de crevettes. Avec deux autres jeunes filles de 20 ans : Asma et Nawal elles forment une jeune bande qui « travaille » et traverse la ville.

« Créer ses propres images pour rendre compte de sa civilisation dans le monde actuel, voilà qui définit ce que je veux faire. »


LEILA KILANI

EXTRAITS CRITIQUES

SYNOPSIS


Tanger - Aujourd’hui, quatre jeunes femmes de vingt ans travaillent pour survivre le jour et vivent la nuit. Toutes quatre ouvrières, elles sont réparties en deux castes : les textiles et les crevettes. Leur obsession : bouger. "On est là" disent-elles. De l’aube à la nuit la cadence est effrénée, elles traversent la ville. Temps, espace et sommeil sont rares. Petites bricoleuses de l’urgence qui travaillent les hommes et les maisons vides. Ainsi va la course folle de Badia, Imane, Asma et Nawal...


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 «Mieux vaut être debout, tenu par son mensonge, qu’allongé, écrasé par la vérité des autres. Je ne vole pas, je me rembourse. Je ne cambriole pas, je récupère. Je ne trafique pas, je commerce. Je ne me prostitue pas, je m’invite. Je ne mens pas. Je suis déjà ce que je serai. Je suis juste en avance sur la vérité : la mienne !» 

Badia, interprétée par Soufia Issami, une non professionnelle partie sans laisser d’adresse après le tournage.

 

« J’ai vu 320 filles à Tanger. On a fait distribuer des flyers sur les plages, dans les cafés, les stands commerciaux, on a passé des annonces à la radio, créé une page Facebook, fait circuler des choses sur le web... Tout le Maroc a défilé́, toutes les classes sociales. Les filles venaient avec les parents, ce qui aurait été totalement inconcevable il y a vingt ans. L’interdit est tombé : la Star Academy est passée par là. Aucune des actrices n’a été choisie juste pour elle. C’est le quatuor qui comptait. Celles que l’on a gardées avaient en commun une manière assez intuitive de travailler, sans être dans la caricature de leur propre image.

 On a fait des essais, une très longue préparation à Tanger. Je leur ai montré des films, pour qu’elles comprennent ce que j’aime. Wanda de Barbara Loden, en premier lieu, pour sa liberté́ cinématographique, sa mise en scène, pour ce personnage subversif à souhait. C’est virtuose mais il y a ce côté spartiate et très inventif que j’aime énormément, qui passe par l’inscription dans un espace et dans un moment. Je sais que les gens ne me suivent pas sur cette idée, mais moi Wanda je la trouve très drôle. Le jeu devait être précis, comme un métronome, pour entrer dans le rythme effréné du film, où tout est chorégraphié. Pour coller au va-et-vient incessant qui est l’essence même du film, on a beaucoup travaillé la retenue, le placement de voix, la scansion, les déplacements, la tension physique... On leur a appris à être actrices dans la ville, à compter leurs pas sans que personne ne le remarque. à prendre la lumière, placer parfaitement leur texte en fonction des ambiances, du bruit...

Depuis que Matt Damon est venu à Tanger pour La Mémoire dans la peau, on ne peut plus tourner librement dans la ville. On n’avait pas les moyens financiers et, de toute façon, ce qui m’amusait c’était de balancer mes actrices dans le marché. Au début, les gens du souk se sont énervés. Je leur ai dit que j’étais tangéroise, et qu’ils n’allaient pas tout de même pas empêcher une fille de chez eux de tourner dans les rues de Tanger. Ils ont rigolé, et l’idée qu’une tangéroise les filme dans cet endroit leur a plu. J’ai donné cinq minutes au vendeur de téléphone pour apprendre son texte, et on a fait la scène avec lui. Les films new-yorkais du début des années 1970 sont faits comme ça, le néo-réalisme aussi. J’avais cette même idée d’essayer de pomper l’énergie de la ville en y balançant mes actrices. » Leïla Kilani