Theoreme_Extraits_critiques

EXTRAITS CRITIQUES

Propos du réalisateur



 « Théorème, comme le nom l’indique, se fonde sur une hypothèse qui se démontre mathématiquement per absurdum. Voici ce que je pose : si une famille bourgeoise était visitée par un jeune dieu, qu’il soit Dionysos ou Jéhovah, qu’arriverait-il ? Je commence donc par une pure hypothèse. »

« Je ne propose absolument aucune solution. Pour ce faire, il faudrait que j’en eusse trouvé moi-même. Non, ce sont des films libres [Théorème et Porcherie], dans le sens où nous parlions auparavant d’expérimentalisme. Ils ne proposent ni issue ni solution. Ce sont… ‘’Des poèmes en forme de cri de désespoir’’. »

 Un film allégorique est « une œuvre où chaque chose renvoie à une autre réalité. Ainsi dans Théorème le jeune hôte n’est pas simplement un hôte venu séjourner dans une famille d’amis milanais, c’est l’allégorie de Dieu… Théorème est ainsi une parabole pure. »

 

« (…) Pour moi l’érotisme est un fait culturel et dans Théorème je l’exprime par un système de signes… Je veux dire que l’érotisme du film s’identifie à son « langage ». Par exemple, ce Dieu, cet ange qui apparaît dans l’histoire de ce récit, communique avec les autres à l’aide d’un système de signes spécifiques, différent du système linguistique. Du reste, c’est peut-être le seul dont il soit capable. En effet, quelle langue humaine pourrait-il employer pour évangéliser ? Du reste, il n’est pas venu évangéliser, mais témoigner de lui-même. »

 

« Je défends le sacré parce que c’est la part de l’homme qui résiste le moins à la profanation du pouvoir, qui est la plus menacée par les institutions des Eglises. »

 

« Je n’aime pas le catholicisme, en tant qu’institution, non par athéisme militant, mais parce que ma religion, ou plutôt mon esprit religieux, s’en offusque…. Quant à la vision religieuse que nous pouvons avoir du monde, elle se passe de l’idéalisme chrétien. J’incline à un certain mysticisme, à une contemplation mystique du monde, c’est entendu. Mais c’est par une sorte de vénération qui me vient de l’enfance, d’irrésistible besoin d’admirer les hommes et la nature, de reconnaître la profondeur, là où  d’autres n’aperçoivent que l’apparence inanimée, mécanique, des choses. »


Jean DUFLOT : Entretiens avec Pier Paolo PASOLINI

(Ed. Pierre Belfond, 1970)

«La permanence des grands mythes dans le contexte de la vie moderne m’a toujours frappé, mais plus encore l’incessante ingérence du sacré dans notre vie quotidienne. C’est cette présence, à la fois indiscutable, et qui échappe à l’analyse rationnelle que je tente de cerner dans mon œuvre écrite ou filmée, et que j’explicite, sous forme de parabole dans Théorème

« Seule la poésie m’attire encore comme expression, et la fable m’apparaît d’autant plus poétique que son signifié est complexe. Je découvre une réalité qui n’a rien à voir avec le réalisme. C’est parce que cette réalité est ma seule grande préoccupation que je suis de plus en plus attiré par le cinéma : il appréhende la réalité au-delà même de la volonté du réalisateur et des acteurs. Le cinéma, c’est la vie, fût-ce à notre corps défendant. »

 Entretien : Quinzaine littéraire : 01/03/1969

 

« Je suis de plus en plus persuadé que le cinéma que je crée est de moins en moins « consommable »  par ce que l’on appelle aujourd’hui les « masses »… Je suis plutôt pessimiste  sur leur accès  à l’œuvre que je poursuis. Dans la situation actuelle, les « masses » ne peuvent être atteintes par le truchement de  produits authentiquement culturels, de produits d’art. Ces masses sont conditionnées  pour être réceptives aux produits de série. La série étant le modèle technique de la répétition, de la vulgarisation, le moyen par excellence du conditionnement (…) 

Je m’efforce de créer un langage qui mette en crise les rapports de l’homme moyen, du spectateur moyen avec la langue des mass media, par exemple »

« L’engagement pour moi, c’est d’abord une conscience lucide du choix que l’on fait ; tout est question de dosage dans une conscience qui doit tendre à utiliser la société constituée en la servant le moins possible : une sorte de bras de fer. »

Entretien : J. Duflot