J'ai tué ma mère_Extraits critiques

EXTRAITS CRITIQUES

Hubert Minel n'aime pas sa mère. Du haut de ses 17 ans, il la jauge avec mépris, ne voit que ses pulls ringards, sa décoration kitsch et les miettes de pain qui se logent à la commissure de ses lèvres quand elle mange bruyamment. Au-delà de ces irritantes surfaces, il y a aussi la manipulation et la culpabilisation, mécanismes chers à sa génitrice. Confus par cette relation amour-haine qui l'obsède de plus en plus, Hubert vague dans les arcanes d'une adolescence à la fois marginale et typique -découvertes artistiques, expériences illicites, ouverture à l'amitié, sexe et ostracisme- rongé par la hargne qu'il éprouve à l'égard d'une femme qu'il aimait pourtant jadis.

 


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 Si le foyer d'Hubert est glauque, kitsch et ténébreux, celui de son ami Antonin est lumineux et luxueux, et celui de son professeur Julie, classique et bleu. Afin de mettre en exergue le contraste de ces différents univers, Xavier Dolan a opté pour des couleurs différentes les caractérisant. Attiré par les arts plastiques, son film trouve son inspiration dans les peintures d'artistes qu'il admire, tels que Pollock, Matisse ou Klimt. En hommage également à Arthur Rimbaud et à Antonin Artaud, le nom de l'amant d'Hubert est Antonin Rimbaud. Les scènes en noir et blanc représentent une sorte de réflexion spirituelle que capte un Dieu omniscient, pour le spectateur : " Le personnage se filme durant ces séquences, mais notre vision n'est pas celle qu'il obtient avec sa caméra bon marché. C'est sa propre vision dans cet environnement intime de confidences et d'expiation," explique Dolan

Les dialogues du scénario sont un amalgame de bribes de conversation que Xavier Dolan a eues avec sa mère et de répliques purement fictives. Reformulant et recomposant, il n'a surtout pas voulu faire un documentaire. Suivant son instinct, le jeune prodige a beaucoup improvisé et s'est servi de son vécu, écrivant notamment ce qui lui semblait juste dans la bouche de ses personnages.

Sa mère n’a découvert le film qu’à la première, à Montréal : il appréhendait un peu qu’elle prenne au pied de la lettre cette histoire de matricide fantasmé par un ado rebelle et homo. « Je lui ai expliqué que si j’avais voulu faire un documentaire sur elle, j’aurais mis des micros dans les pétunias, racontait-il à Cannes. C’est un film très intimiste, pas seulement sur la guerre mais aussi sur la réconciliation. »

XAVIER DOLAN

Xavier Dolan, fils d'un acteur-danseur, naît à Montréal en 1989. A peine six ans plus tard, on le découvre à la télévision dans plusieurs publicités pour une enseigne pharmaceutique. Amoureux du jeu, sa relation avec le cinéma s'impose très tôt et sa carrière d'acteur débute par plusieurs longs-métrages canadiens tels que J'en suis (1997), La Forteresse suspendue (2001), ou encore Suzie en 2009. .

Cette année 2009 est celle de la révélation, au Festival de Cannes, de son premier long-métrage, J'ai tué ma mère. A l’origine de ce film, il y a une petite nouvelle écrite à 17 ans, Le Matricide, sur les conseils d’une prof de français « un peu marginale ». A l’automne 2007, Dolan intègre la fac d’arts et lettres, option cinéma et communication. Au bout de quelques semaines, il abandonne ses études. « J’ai senti que ma créativité était castrée. Tout était nivelé par le bas. Je n’étais pas entré là pour étudier la poésie québécoise sur la beauté des champs de maïs… Je ne dis pas que les écoles ne servent à rien. Mais j’avais une urgence à raconter mon histoire, et les études, c’est long.  Or, un film, c’est quelque chose d’éphémère, comme un flacon de parfum ouvert : ça s’évapore. Je me suis formé en observant, enfant, ce qui se passait sur les plateaux de tournage et en voyant des milliers de films. C’est la somme de ceux que j’ai aimés-les premiers Godard, Gus Van Sant, Hanecke, surtout la version américaine de Funny games, Louis Malle pour les histoires qu’il raconte-qui définissent ma vision. Je ne dirais pas « mon style », je suis trop jeune pour ça. »

Fâché avec les études, Dolan reprend sa nouvelle dont il tire un scénario et cherche un producteur qui, rapidement jette l’éponge. « J’ai alors investi toutes mes économies accumulées pendant les années où j’ai fait l’enfant acteur dans des pubs, des téléfilms et au cinéma. »

Après ce film à l'inspiration autobiographique fantasmée, Dolan écrit le scénario de son deuxième film en quelques mois et revient dès l'année suivante à Cannes (dans la catégorie "Un Certain Regard"), avec Les Amours Imaginaires où il met en scène la relation en péril d'un duo d'amis bouleversé par l'arrivée d'un jeune homme, se révélant source obsessionnelle de fantasmes.

Source : rencontre avec X. Dolan Libération : 15/07/2009