Voyage à cythère_Extraits critiques

EXTRAITS CRITIQUES

Propos du réalisateur

« ...Le Voyage à Cythère est un film beaucoup plus imaginaire que les précédents : cela baigne dans une sorte de rêve et l’on pourrait dire  que tout se passe dans la tête de cet homme, qu’il n’y a rien de réel…

Après la guerre civile, plus de cent mille personnes sont parties dans les pays de l’Est. Ces gens y ont refait leur vie avec le sentiment pourtant qu’ils rentreraient. Mais les années ont passé et, peu à peu, ils ont abandonné leur famille au pays. Cela, c’est la toile de fond du film. Mais ma volonté était de m’éloigner de ce problème politico-social et d’aller dans la direction de l’idée du retour, du problème du père et aussi, bien sûr, de celui de l’identité et de la création…

Est-ce cette idée de création qui est suggérée par la nébuleuse-image de science fiction– sur le générique ?

...Cela ne représenta, non pas une image de science-fiction, mais plutôt le subconscient ou la mémoire… Je ne peux pas vraiment préciser d’où m’est venu ce plan d’une nébuleuse, mais il m’a paru indispensable de le mettre en ouverture. On peut l’interpréter, bien sûr, de différentes façons, comme beaucoup de moments dans ce film qui est plein de trous. Il y a aussi des changements dans le découpage par rapport à mes précédents films, avec des pans-séquences, naturellement, mais aussi parfois un découpage beaucoup plus désordonné que d’habitude. Cela correspondait à une interprétation du moment en fonction de la nécessité de la scène et non selon une idée de style préexistant au tournage. D’où les ruptures…

 

Dans ce film également, les plans-séquences n’explorent pas l’espace, ils suivent toujours les personnages. La caméra ne fonctionne pas indépendamment des personnages comme dans les Chasseurs ou Alexandre le Grand. Il n’y a pas non plus de temps morts. Mais bien sûr, on retrouve les plans longs. J’avoue avoir essayé de changer cela, mais je me suis rendu compte que cela m’était impossible. C’est ma respiration. D’autant que ce film parle de la vieillesse, du passage du temps et qu’il y avait donc un accord entre le thème et le traitement.


...Comme c’est un film sur un auteur qui s’interroge sur ses personnages, il était normal que je sois axé moi aussi sur eux. Il n’y a pas de référent historique ou idéologique. Le sujet, c’est davantage la condition de cet homme, sa faculté d’être plutôt qu’une prétendue crise de création. Il est en crise, tout simplement. Il n’est pas comme le héros de 8 1/2 qui ne sait pas quoi créer… C’est un homme qui essaie, dans son imagination, de créer une harmonie.

Le voyage à Cythère est peut être encore plus laconique que vos précédents films. Il rappelle que le cinéma est un art de l’image.

Là encore, c’est un choix personnel. Bien sûr, il y des films que j’aime beaucoup et qui ont de nombreux dialogues, mais en général, dans les films qui m’ont le plus frappé, l’image « parlait » plus que la parole. C’est pourquoi chez moi les dialogues sont réduits au minimum. Ils ont pour strict but de faire avancer la situation, et non de créer une scène en soi.

Entretien recueilli par Michel Ciment

(Positif N°288 : février 1985)

 

« Je n’ai pas voulu raconter une histoire politique. On sait seulement qu’un vieux révolutionnaire rentre au pays après 30 ans d’exil en URSS… Ce vieux, porteur du passé révolutionnaire, n’est plus rien quand il rentre. Voilà l’essentiel. Il revient mourir, creuser sa tombe au village. Il demande à mourir comme un vieux chien. Pour la troisième fois, il est repoussé, rejeté à cause de sa différence. La première fois, c’était en 1922, parce qu’il était grec pour la population turque de l’époque. La deuxième, parce qu’il était révolutionnaire pendant la guerre civile. Et la troisième, parce que, contrairement aux autres paysans du village, il ne veut pas vendre sa terre. Il refuse de participer à la folie de vendre qui a saisi tout le village. Ils finiront par vendre la neige du ciel, disent les textes grecs. C’est donc un homme toujours en exil, en voyage, la valise à la main... »

Propos recueillis par Jean-Louis Mingalon