Green boys Extraits critiques

Pouvez-vous nous parler de la genèse de ce film, laissée délibérément dans l’ombre?


Depuis le démantèlement de la jungle de Calais, en 2016, de jeunes garçons, francophones pour la plupart, arrivaient en nombre à la gare du Havre. Alors que leurs aînés voulaient gagner l’Angleterre, eux voulaient rester en France. Ils se rendaient à l’Aide sociale à l’enfance (ASE) pour faire savoir qu’ils étaient mineurs et demander une mise à l’abri. La plupart du temps, ils étaient rejetés et retournaient dormir à la gare. Nous étions un certain nombre de particuliers à les mettre à l’abri chez nous. Nous avons alors fondé une association d’accueil, Des lits solidaires, et c'est comme cela que j'ai rencontré Alhassane. Il a séjourné à plusieurs reprises chez nous pour des périodes plus ou moins longues. Dès le premier jour, je lui ai cherché dans le village des partenaires de foot. Louka, que j'ai vu pour la première fois à cette occasion, est venu tout de suite pour rencontrer Alhassane. Chaque jour, ils se retrouvaient, et j'observais cette relation se transformer en amitié.


C’est un choix risqué, mais ici fertile, de passer sous silence les informations qui servent ordinairement à caractériser une rencontre et une relation entre les personnages. Surtout dans un documentaire…


Au moment où nous débutons le tournage du film, Alhassane et Louka se connaissent déjà. Alhassane a ses habitudes à la maison, et cette histoire est en cours. Je filme un présent, à un moment donné. En effet, certaines informations sur la situation me paraissent presque inutiles. Quelques-unes, sans doute indispensables pour que le spectateur ne soit pas perdu, se sont glissées spontanément dans le récit d’Alhassane. Il est accueilli dans des familles françaises, car avant il dormait à la gare du Havre, les services de l’ASE ne le reconnaissent pas mineur… mais cela importe peu de savoir quelle est cette maison, s’il est chez moi ou chez quelqu’un d’autre, puisque ce n’est pas ce que le film souhaite raconter. Je me suis introduite dans la bulle relationnelle des deux garçons, ils se découvrent l’un l’autre, le temps d’un été.

Votre film, en cela rousseauiste, est à la fois un conte bucolique et une utopie politique. L’aviez-vous voulu ainsi ?


Lorsque ces jeunes arrivent en France, ils sont épuisés. Ils ont traversé la Méditerranée, passé de longs mois d’inquiétude, sans beaucoup de sommeil. Sans peut-être même le savoir, Louka a permis à Alhassane de renouer avec sa part d’enfance, de prendre un temps de repos, au soleil, dans le calme d’un coin de verdure. Ce sont des moments réparateurs auxquels ces jeunes devraient tous avoir droit. Ce lieu est comme un contre-espace, et ce temps est un moment qui vient effacer les autres, comme une contestation des difficultés que ces jeunes rencontrent. Ce n’est pas parce qu’Alhassane est un jeune migrant que le film devrait l’assigner au drame. Il est venu en France pour y construire sa vie, pour y apprendre la mécanique automobile. Le film montre que ce n’est pas impossible.


Comment avez-vous obtenu l’accord des personnes? Par quel miracle paraissent-elles aussi peu préoccupées de votre caméra?


Alhassane et Louka se connaissaient depuis quelques semaines lorsque je leur ai fait part de mon désir de les filmer. Autant Alhassane n’a pas eu d’hésitation – j’ai senti qu’il en avait réellement envie –, autant Louka, à juste titre d’ailleurs, a pu craindre que cela vienne s’immiscer dans leur intimité. Il était plus inquiet. Nous avons beaucoup parlé tous les trois de ce qu’il pourrait y avoir dans ce film, de ce qu’ils vivaient ensemble. Et quand Louka n’avait pas envie de quelque chose, je n’allais pas sur ce terrain-là. C’était d’un commun accord qui nécessitait des petites négociations parfois!

La caméra ne doit pas être un encombrement. Elle fait partie de moi en quelque sorte. Ce qui compte, c’est la relation que je peux avoir avec les deux garçons. Ils n’ont pas à m’oublier, mais à faire avec, sans que cela ne les empêche.


Propos recueillis

Propos de la réalisatrice

Gree boys Extraits critiques