03-Slalom Extraits critiques

Slalom. Extraits critiques

Entretien avec la réalisatrice


Comment est née l’idée du film ? Est-ce autobiographique ?

A l’adolescence, j’ai subi des violences sexuelles dans le milieu du sport. Comme beaucoup de victimes, j’ai intériorisé pendant de nombreuses années. (…) Lyz n’est pas moi, ni sa famille la mienne, ni Fred mon agresseur. Mais le film est irrigué de mon histoire personnelle. J’avais un besoin fort de transposer dans un autre milieu sportif. J’ai choisi le ski avant tout parce que j’ai grandi à Val d’Isère où dès mon plus jeune âge et jusqu’à mes 16 ans, ma vie n’était faite que d’entraînements et de championnats. Un corps qui souffre encore et encore, pour échapper parfois aux lois de la gravité me semblait beau et nécessaire à filmer. Ensuite, cette montagne me fascine et m’effraie à la fois. Elle m’offre un cadre naturel d’une beauté intense pour ce drame.


Comment s’est passée l’écriture de ce film ?


J’avais ce film en moi depuis très longtemps, mais je ne m’étais jamais « autorisée » à l’écrire, à le partager, c’est en arrivant à l’atelier scénario de la FÉMIS en 2014 que je suis enfin parvenue à faire « sauter » ce verrou. En écrivant ce scénario, j’ai voulu marquer toutes les étapes, les ambivalences et les états d’âme qui traversent mon personnage plutôt que d’illustrer uniquement les agressions et leurs conséquences. Dans ce travail, Marie Talon et Antoine Lacomblez m’ont apporté leur talent pour trouver le recul nécessaire pour saisir les enjeux dramatiques. Je me suis particulièrement attachée à faire ressentir le phénomène d’emprise psychologique. Fred use d’une triple domination qui rend Lyz vulnérable: celle de l’entraineur qui conduit à la réussite sportive ; celle de l’adulte dont on doit suivre les règles et celle de l’homme qui impose ses pulsions. C’est cette emprise qui vient dévoyer l’émergence des désirs de Lyz en lui imposant les envies d’un autre et qui agit aussi sur sa psyché en altérant peu à peu sa perception du monde. Dans ce lycée de sport étude, j’ai trouvé le contexte qui peut amplifier cette mainmise de l’adulte :le jeune âge des pratiquants les rend plus fragiles, le planning intense des compétitions les éloigne de leur famille, mais aussi les vestiaires qui brisent leur intimité. Peu à peu, Lyz perd la propriété de son corps, d’abord outil de performance puis objet de désir. Meurtrie par les blessures physiques et psychologiques, elle va découvrir la peur, perdre pied. Dans ma démarche artistique, j’ai eu besoin de tourner un court métrage : Odol Gorri. L'idée n'était pas de faire une version courte de Slalom mais de me confronter à la violence de certaines scènes. Cette expérience a nourri l'écriture de Slalom et m'a encouragée à toujours me placer du point de vue du personnage principal. Ce tournage m'a aussi permis de trouver un alter ego avec la comédienne Noée Abita. 

      Comment avez-vous travaillé avec Noée Abita et Jérémie Renier pour les deux rôles principaux ?


Pour Noée, beaucoup de choses se sont jouées en amont du tournage et notamment pendant le tournage de mon court-métrage où nous nous sommes apprivoisées grâce à nos sensibilités communes. En arrivant sur Slalom, nous avions notre méthode: partir du cœur et du corps. Surtout pas de répétitions pour garder de la spontanéité, mais de la préparation physique et mentale. Noée s'est alors isolée deux mois avec Emilie Socha, la coach sportive de la section ski étude de Bourg-Saint-Maurice, pour faire de la musculation, de la proprioception et pour s'imprégner de la gestuelle et de la routine des skieurs de haut-niveau. C'est dans cette solitude et pendant sa préparation physique et mentale que Noée a construit son personnage. (.) Même méthode avec Jérémie, qui a, lui aussi, passé beaucoup de temps en amont avec les entraîneurs des clubs de la région ; pour être crédible, il a appris le jargon, les gestes, et les automatismes du métier. Ensuite, pendant le tournage, nous nous questionnions beaucoup sur la psychologie du personnage pour comprendre d'où venaient ses motivations et ses pulsions. Pour éviter la caricature, nous voulions donner à Fred plusieurs couleurs ambivalentes, allant de la douceur à l'agressivité. Ce qui nous intéressait, c'était de comprendre comment Fred allait investir Lyz de son obsession de réussite et de reconnaissance. Un des défis de Jérémie était d'incarner un homme qui n'est pas un harceleur coutumier de l'abus sexuel mais qui, en agissant dans une pulsion, signe le début de sa chute.


Les scènes de compétition de ski sont impressionnantes. Cela a dû être un vrai challenge à filmer…


Nous nous sommes donné les moyens techniques nécessaires aux scènes de courses et de skis : utilisation d’un drone, d’un cadreur spécialisé pour les descentes… Et puis la Fédération Française de Ski nous a permis de nous greffer à de vraies courses, ce qui nous a fait bénéficier de l’atmosphère électrique de ces évènements sportifs internationaux ! La musique et les sons de ski dans les courses ont notamment permis de créer l’atmosphère mentale de Lyz dans ces moments intenses. il ne fallait surtout pas donner l’impression d’une captation sportive classique. Le cadreur sur ses skis et l’assistante caméra sur la motoneige se sont tous deux lancés à vive allure dans les pentes abruptes à la poursuite ou devançant les mouvements de la skieuse. L’idée était de capter le ski à travers Lyz de manière organique et émotionnelle, créant de la sorte une impression d’apesanteur et de vertige.


Diriez-vous qu’il s’agit d’un film engagé et si oui, dans quel sens ?

La prise de parole puis la dénonciation, sont des étapes très personnelles, et l’écriture de ce scénario a exorcisé beaucoup de choses en moi. Cependant, Slalom n'est pas une réponse épidermique, ni un plaidoyer, c'est un voyage intime et sensoriel.

Dossier de presse

Propos de la réalisatrice