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MIGUEL GOMES


Après avoir étudié le cinéma à l’École supérieure de théâtre et de cinéma de Lisbonne (Escola Superior de Teatro e Cinema), Miguel Gomes devient critique de cinéma dans la presse portugaise entre 1996 et 2001, en particulier dans Pùblico.


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Il devient naturellement réalisateur en 1999 avec un premier court métrage, Entretanto, regard musical et chorégraphique sur les états d'âme de trois adolescents. Son premier long métrage, La gueule que tu mérites (2004), récit d'un homme de trente ans qui refuse de grandir, baigne dans une atmosphère de conte surnaturel. Quatre ans plus tard, dans Ce cher mois d’août, Miguel Gomes puise dans le documentaire - la musique populaire dans la région de Coimbra - l'inspiration d'une fiction mettant en scène les amours contrariés d'une chanteuse de bal et de son cousin. Tabou, dans le contexte de l'achèvement de la décolonisation portugaise en Afrique, «un vaste poème mélancolique qui chante un éden [...] définitivement perdu.» Cet hommage à Murnau, remporte le Prix Alfred-Bauer au Festival de Berlin et le révèle à l'international. Les Mille et Une Nuits, en trois parties, raconte très librement, sous forme de conte, les années d'austérité qui ont accablé le Portugal. Le film a été sélectionné à la Quinzaine des réalisateurs à Cannes en 2015. Il revient à la Quinzaine en 2021 avec Journal de Tûoa, film tourné en confinement dans une maison de campagne au Portugal pendant la crise sanitaire.


Filmographie


Courts métrages

1999: Entretanto

2000: Inventário de Natal

2002: 31

2002: Kalkitos

2003: Dinamitem a terra do nunca

2004: Pre-Evolution Soccer’s One Minute Dance After a Golden Goal in the Master League

2006: Cântico das criaturas

2009: Carnaval

2013: Redemption


Longs métrages

2004: La gueule que tu mérites (A Cara que Mereces)

2008: Ce cher mois d’août (Aquele Querido Mês de Agosto)

2012: Tabou (Tabu)

2015: Les Mille et Une Nuits (As Mil e Uma Noites)

2021: Journal de Tûoa

Extraits critiques

Le cinéma est une histoire de foi


Miguel Gomes est de ces cinéastes qui font encore espérer le meilleur au cinéma d’aujourd’hui comme celui de demain. Cinéphile averti, il réussit la brillante synthèse du cinéma d’hier et de celui d’aujourd’hui, sans que l’un prenne le pas sur l’autre. À une époque où l’on nous fait croire qu’il n’y a qu’une voix possible pour le cinéma, celui utilisant les technologies de pointe (numérique, 3D, etc.) avec en outre un récit bien calibré, Tabou montre avec modestie et pour le plus grand plaisir du spectateur le contraire. Le film a été réalisé en argentique (Super 8, 16 et 35 mm) parce que le sujet s'y prête: le cinéaste à travers l'esthétique émanant de l'argentique a voulu interroger ce que recèle le cinéma muet et l'époque où il était réalisé. Il se libère ainsi de la dictature actuelle du réalisme au cinéma pour interroger un pacte fondamental qui lie le septième art à son spectateur: la croyance. Car c'est bien de ce constat qu'il s'agit: inutile de se soumettre au réalisme pour espérer capter l'attention du spectateur. Le cinéma n'est pas la vie: le temps d'une projection, on croit à autre chose. Et s'il est question de réalisme dans le souci esthétique du cinéaste, cela ne traite pas de la conscience mais bien de la perception consciente du spectateur. Ainsi, lorsqu'un narrateur évoque son passé, le film est muet mais sonore: seules les voix des personnages sont absentes, tous les autres bruits restant audibles. Miguel Gomes plonge dans la psyché du cinéma en s’immergeant dans ses origines à l’instar du film éponyme de Murnau qui tentait de retrouver la grâce d’une humanité éloignée du modèle occidental dominant. Il est rare qu’un hommage à un chef-d’œuvre du cinéma crée un nouveau chef-d’œuvre. Et pourtant c’est bien ce à quoi est confronté l’heureux spectateur de Tabou.


Il faut ajouter à cela que ces partis pris esthétiques, la cinéphilie de cet ancien critique de cinéma qu’est Miguel Gomes s’associent également à un discours politique sous-jacent sur le Portugal moderne confronté à son histoire coloniale encore très récente (ce pays est l’un des derniers à avoir aboli le système colonial à la suite de la chute d’une dictature de près d’un demi-siècle) pour rester vive dans l’esprit de nombreux de ses concitoyens. Le catholicisme de Pilar, le racisme d’Aurora, etc., sont bien des facettes de la complexité du Portugal d’aujourd’hui indéniablement marqué par ce passé que l’on ne peut effacer simplement en adhérant à la religion du progrès.


Cédric Lépine, Le Club Médiapart

SYNOPSIS

TABOU


À Lisbonne, Aurora, une vieille femme au fort tempérament, demande avant de mourir à sa voisine altruiste, Pilar, et à sa femme de ménage, Santa, de retrouver un certain Ventura qu’elle tient à revoir. Mais l’homme arrive trop tard. Il se confie toutefois aux deux femmes et leur relate la grande passion qui l’a lié autrefois à leur défunte voisine. Une histoire d’amour née en Afrique dans les années 1960 alors qu’il était un musicien en tournée tandis qu’Aurora, mariée et enceinte, gérait une ferme près du mont Tabou. Cette fresque romanesque dévoile un mélodrame envoûtant invitant à une grande histoire d’amour sur fond d’empire colonial portugais en Afrique.