Entretien avec la réalisatrice
Depuis quand filmes-tu ton frère et depuis quand l’envie de le filmer s’est transformée en l’envie d’en faire un film?
Le moment où je suis entrée à l’INSAS coïncide avec l'entrée de mon frère Arnaud dans un centre éducatif fermé. Dans le rapport de grande sœur à petit frère, je ressentais le besoin ou le devoir de partager avec lui l'éducation que je recevais. C'était pour moi une manière de mettre quelque chose d'autre entre lui et moi. Mais je n'en avais pas cette conscience-là lorsque j'ai commencé à le filmer en 2005. En 2012, j'apprends qu'il est à la prison des Baumettes et là, j'ai envie de faire un film qui soit produit, pour qu'Arnaud puisse exister sur l'écran un jour. C'était ma motivation dès l'écriture du projet.
À quel moment sais-tu que le film va s’arrêter?
Lorsque je suis partie le rejoindre au Pérou en 2019, rien ne fonctionnait. Arnaud refusait d’être filmé. Je n’avais pas de quoi finir le film tel que je l’avais en tête. Mais le tournage était fini. Quand j’ai commencé à monter en septembre, je n’avais pas encore les dernières images tournées par Arnaud. Tout ce que je savais, c’est que je finirai le film sur son dessin, sans savoir exactement comment. C’est un dessin que je lui ai demandé de faire en 2013. Pour qu’il me raconte ce vers quoi il voulait aller. J’ai toujours voulu que ce soit la dernière image du film. Il me fallait donc soit attendre, soit tordre le film pour qu’il s’y plonge. Et il y a eu un peu des deux… Arnaud a continué à m’envoyer de la matière filmée jusqu’en janvier dernier et c’est ce qui a permis de créer cette fin.
Tu savais que les dessins allaient être un fil conducteur du film?
Oui, parce que c’est un film qui est fait pour Arnaud […]. Ses dessins, c’est sa sensibilité au monde, sa plus profonde personnalité. Ils avaient donc toute leur place dans le film.
Et ta place à toi, à l’intérieur du dispositif? Tu choisis clairement d’être présente dans le déroulé du film, soit hors-champ, soit à l’image. Tout en refusant toute voix off.
Je n’ai jamais eu envie de me filmer, ni d’exister physiquement dans mes films. Mais de toute évidence, j’en suis un personnage. Au montage, il a fallu jongler avec ce personnage qui est le mien, jauger sa présence, trouver un équilibre. Pour Soy Libre, il fallait jouer sur les désaccords entre Arnaud et moi. Et lui laisser la place et le temps de se défendre. On le voit dans les premières images du film, quand il est tout jeune et que je lui demande: «'est-ce que tu crois? que tu vas passer à la télé avec ce film ou sur internet?», il répond avec un petit rictus, comme s'il croyait déjà en ce film plus que moi. En tout cas, c'est comme ça que je l'interprète aujourd'hui. C'est moi qui ai eu tort. C'est une manière de dire au spectateur «vous aussi vous aviez tort en regardant Arnaud?». Et pour cela il faut que mon personnage ait tort. Je ne voulais pas de voix off, parce que ce n'est pas mon écriture. Je peux monter des scènes non synchrones sur des images mais pas de voix off en soi. Ce ne sont pas des films à la première personne. Je n'en suis qu'un personnage. [.] C'est parce que nous sommes frère et sœur que le film peut dépasser la facilité de définir Arnaud comme un animal social et de faire de l'anthropologie. Je ne voulais surtout pas en faire de la nourriture pour sociologue. Je le qualifierai plus comme film politique que film social.
La scène du scooter est assez remarquable, parce que tu es à une place de cinéaste, et donc de regardant, face à un acte transgressif et, compte tenu de son attitude et de la situation, c’est toi qui deviens vulnérable. On pourrait dire ça de plusieurs scènes dans le film.
Ce qui se joue dans cette séquence, c’est la mise en scène. Parce que le décor, il l’avait repéré, le scooter, il l’avait repéré. Et je reste convaincue que son habit était aussi choisi. à moi de me démerder pour en faire quelque chose. Donc on s'amuse. Comme des enfants, un frère et une sœur, avec un des deux qui fait plus de conneries que l'autre et qui se suivent, avec jubilation. Je m'étais fixé des limites. Je ne voulais pas le filmer en train de voler.
Dossier de presse, Propos recueillis par Frank Beauvais
Extraits critiques