09-03-Mes frères et moi ( Extraits critiques)

PROPOS DES RÉALISATEURS

Quelle est la genèse de Mes frères et moi?

C’est la libre adaptation d’une pièce de théâtre Pourquoi mes frères et moi, on est parti... de Hédi Tillette de Clermont-Tonnerre, que j'avais montée et jouée à l'âge de 17 ans.


Est-ce la seule part autobiographique du film?

J’ai mis énormément de souvenirs personnels dans ce film, de ma jeunesse, de mon enfance. Comme les quatre frères de mon histoire, je viens de quartiers populaires, au sud de la Seine-et-Marne et à Pantin. Je suis également d’origine méditerranéenne, espagnole par ma mère, italienne par mon père. Je voulais traiter ces origines-là, cette immigration du bassin méditerranéen.


Comment vouliez-vous restituer visuellement la vie de ces quartiers populaires?

Loin de l’image véhiculée par les chaînes d’infos en continu qui ne traitent ces territoires que comme des lieux dangereux, peuplés de voyous. Mon approche n’était pas non plus documentaire, comme l’ont très bien exprimée des cinéastes tels Abdellatif Kechiche ou Tony Gatlif. Mon parti pris était de montrer ce qu’il y a de beau et de romanesque dans ces territoires-là. Donc il n’était pas question de filmer à l’épaule et en numérique, afin d’éviter de donner une sensation de tournage en urgence au cœur d’un endroit qu’on montre en permanence hostile, voire en guerre. J’ai opté pour une caméra sur pied, un point de vue doux, affirmé, et j’ai utilisé la chaleur de la lumière du sud, restituée par la pellicule, le 16 millimètres. Ça rend, à mon sens, tout beaucoup plus solaire et poétique.


à quoi pensiez-vous en filmant ces lieux qui semblent inspirants et filmés sans aucun fatalisme?

Je pensais au cinéma que j’adore, le cinéma italien de Federico Fellini, qui a montré les banlieues, les périphéries, de manière souvent sublime, alors que le contexte social était  dur et noir. Les nuits de Cabiria par exemple montre une Rome étrange, dans la zone. C'est beau et cruel. Je pensais aussi à Affreux, sales et méchants d'Ettore Scola, pour cette manière, sans foi ni loi, de vivre la misère absolue, où il y a pourtant de la grande beauté. La pellicule rend pour moi l'image universelle, imprime une histoire de façon organique, atemporelle. C'est pour ça aussi que dans Mes frères et moi, il n'y a pas de téléphone portable, pas de technologie qui date le film. Personne ne communique, ni ne parle via des réseaux sociaux. Je voulais concentrer toute l'attention du spectateur sur un sujet éternel: l'art qui nous sauve.


Pourquoi ce thème de la vocation artistique d’un très jeune personnage était-il si important?

Mon père est vendeur de manèges, et moi aussi je voulais exercer un métier dans la vente, j’aime parler aux gens et je voulais faire de l’argent! J'ai obtenu un B.E.P. vente-action marchande. Et à la même période, j'ai "rencontré" le théâtre grâce à un professeur de français. Ça a été ma porte d'entrée vers l'art. Je me suis retrouvé devant le même choix que  Nour, celui d'embrasser une carrière artistique alors que son atavisme le destine à tout autre chose.

Nour et la musique, c’est quoi pour vous?

J’aime bien ce que j’appelle les fossiles familiaux, les secrets qui traînent, ce qui est mystérieux dans les familles. Par exemple, j’ai appris très tard que mon grand-père jouait de la guitare. Cela a changé l’idée que je m’en faisais. Savoir que nos racines sont aussi faites de parents qui avaient une sensibilité artistique, ce n’est pas anodin.


Pourquoi avoir choisi l’opéra comme discipline artistique du film?

Par coup de foudre, d’abord, pour un air d’opéra issu de L’élixir d’amour de Gaetano Donizetti: Una Furtiva Lagrima, et grâce à ma rencontre ensuite, il y a quelques années, avec la comédienne Judith Chemla, qui joue Sarah, la professeure de chant du film. Quand j'ai entendu Judith chanter La Traviata, moi qui ne connaissais rien à l'opéra, je suis devenu amoureux de cet art musical. L'opéra s'est imposé comme choix idéal et fascinant comme objet de la vocation de Nour. [.] Je me suis dit que ce serait extraordinaire de rapprocher l'art qu'on peut croire le plus élitiste, des quartiers les plus populaires. J'ai senti que j'étais sur une piste intéressante quand un producteur à qui je parlais de mon projet m'a répondu: "l'opéra, c'est exogène à la vie des quartiers".!!?? Mais rien n'est exogène à la vie des quartiers!


Un autre aspect très important, et presque un personnage à part entière du film, est l’appartement des frères. Pourquoi est-il si présent?

L’appartement ressemble à celui dans lequel j’ai grandi, avec sa disposition, son couloir, ses chambres. mais c’est aussi l’appartements de jeunes gens qui vivent avec leurs parents longtemps, faute de moyens pour pouvoir partir. Ils sont dans leur chambre, avec leur lit à une place de leurs 15 ans. Cet appartement, c’est le symbole de l’impossibilité de s’affranchir des codes de ces quartiers qui enferment. Je voulais aussi parler de ces familles arrivées dans les années 60, qui n’ont pas bougé. On sent dans l’appartement les couches successives de toutes ces décennies passées au même endroit. Les papiers peints datés et usés, les images Panini collées sur le piano que personne n’a touchées depuis longtemps, certains pans de murs repeints etc. attestent de cette relation au temps et à l’espace.


Cet appartement c’est aussi le lien qui tient la fratrie. Comment qualifieriez-vous ce lien, qui les fait se retrouver chaque soir à table pour partager un repas?

Ces quatre frères ne se ressemblent pas. Ils tracent chacun leur chemin, mais je trouvais beau et juste que ce qui les lie, ce soit les liens du sang. Le fait d’être de la même chair provoque un amour qui les dépasse, impossible à contrôler. Ils ne mettent d’ailleurs pas de mots sur cet amour. Ce n’est pas nécessaire. Ils se retrouvent autour d’un plat de pâtes (comme cela se passait chez moi), ça calme leurs conflits du moment. C’est naturel pour eux de se retrouver, c’est sacré sans qu’ils en aient conscience.


Une entente faite de violence et de joie malgré tout?

Oui, mes personnages doivent aller vers la joie, parce que dans la vie j’ai envie d’aller vers la joie, le bonheur, le rire. On passe notre vie à chasser nos démons, à essayer d’être meilleur, alors aller vers la légèreté, c’est ce que j’aime.


D’après Hassan Guerrar et Julie Braun, Dossier de Presse.

  

Extraits critiques