Les trois singes (extraits critiques)
Les trois singes (extraits critiques)

Propos du réalisateur


Mélodrame :

« J’aime beaucoup les thèmes du mélodrame tels qu’on les trouve dans le cinéma turc populaire. Le public turc en est très friand, y compris moi-même. J’ai voulu emprunter ces thèmes, et me les réapproprier de façon réaliste. La plupart des mélodrames décrivent des situations irréalistes, mais qui deviennent acceptables si on les traite de manière réaliste. Pour moi, l’essence de la vie est mélodramatique. Surtout en Turquie ! »

Ame :

C’est l’âme des personnages que j’aime explorer. Le cinéma n’est peut-être pas aussi puissant que la littérature pour cela. C’est un art encore jeune, mais je n’ai pas l’impression que dans cette voie, le cinéma ait livré une œuvre équivalente à Dostoïevski. On y parviendra peut-être un jour. Ce qui m’intéresse, c’est tenter de comprendre ce qui se produit au plus profond de la nature humaine. C’est en connaissant mieux la part sombre de soi-même qu’on a l’espoir de s’améliorer.

Ces images sont celles de mon âme. Elles correspondent à ma vision du monde depuis vingt ans. Et maintenant, j’arrive mieux qu’avant à obtenir ce que je veux, techniquement. Je suis une personnalité assez sombre ! Et je lutte pour que la vie soit plus tolérable.

Acteurs :

Chaque acteur est différent. On doit créer une méthode pour chacun. La mère avait un jeu trop théâtral, contre lequel je devais sans cesse me battre. Je trichais beaucoup, en faisant tourner la caméra sans le lui dire, pendant qu’elle répétait. Pour certaines scènes délicates, je laissais la caméra tourner dans la cuisine, pendant qu’elle répétait toute seule dans la chambre ! Personne ne la regardait, et elle était bien plus naturelle. Pendant ce temps, je prenais le moniteur dans une autre pièce pour voir la prise ! Puis je revenais en disant : « On va tourner ! » et souvent, elle était moins bien...


Image :

Les Climats (2005)a été tourné avec la même caméra. Mais toute la différence réside dans les progrès de l’étalonnage numérique en postproduction. Ce n’est pas la caméra qui fait la différence ; tout le monde utilise la même ! En photographie, c’est connu depuis longtemps : les photographes ont beau employer le même appareil, toute la différence vient du travail après coup, au tirage. La définition de l’image n’est pas le plus important. Ce qui est essentiel, c’est la densité de l’image : de pouvoir décider quelle portion de l’image aura quelle densité. C’est cela qui lui donne de la profondeur et du sens : vous décidez que les coins seront plus sombres, que les noirs seront plus denses dans telle partie du cadre, etc. On peut ainsi retoucher chaque plan comme si on peignait un tableau. Par exemple, quand le garçon poursuit son père, vers la voie ferrée, il est filmé en plongée de la maison, comme si la mère le regardait. Dans le film, il y a une grande ombre sur la terrasse, qui assombrit l’image. Cette ombre n’existait pas à la prise de vue, et c’est elle qui donne sa force au plan.


Son :

Robert Bresson est l’un de mes maîtres à penser. Pour raconter certaines choses, l’image est inutile, le son suffit. Mais je n’y pense jamais au tournage. Tout se construit au montage son et au mixage. Il est extrêmement difficile de prendre des décisions concernant le son : les possibilités sont infinies ; chaque son peut créer un événement différent. C’est la première fois que je n’emploie aucune musique dans un film, ce qui me satisfait. À part la chanson de la sonnerie du portable.


Montage : scène 80 :

« Cette scène est celle qui m’a donné le plus de fil à retordre, autant à l’écriture du scénario qu’au tournage… c’est une scène que je recommençais à multiples reprises, avec à chaque fois de petites différences. Et même maintenant, lors du montage, j’hésite entre les différentes versions. Bien sûr j’ai une favorite. Mais c’est ça le montage. La plupart du temps on ne fait pas forcément ce que l’on avait prévu de faire. »


Nuri Bilge Ceylan : journal de montage (31 e jour)