Benda bilili_ Synopsis

L’expression peut paraître un peu théâtrale, mais Kinshasa est réellement une jungle urbaine où seuls les plus forts survivent.
Evidemment, de prime abord, on pourrait être tenté de se demander comment une bande d’handicapés en fauteuil roulant peut faire partie des « forts ». La réponse, les membres du groupe se plaisent à l’offrir à tous ceux qui prêtent l’oreille (et ils sont de plus en plus nombreux) : le handicap est un état d’esprit, et celui qui l’a surmonté dans sa tête en ressort forcément grandi, quel que soit son état physique. « Benda Bilili » signifie « au-delà des apparences » en lingala, et c’est effectivement de ce côté que Ricky, fringuant quinquagénaire au profil reptilien à la John Lee Hooker et leader du Staff, nous emmène à chacune de ses apparitions.

EXTRAITS CRITIQUES

En règle générale, on ne s’attend à trouver ce genre d’histoire que dans une œuvre de fiction car, on le sait, la vie n’est jamais aussi belle qu’un film. Un groupe de musiciens handicapés qui passent en l’espace de quelques mois de la crasse moite des caniveaux aux projecteurs des scènes européennes, c’est trop beau pour être vrai, ça a quelque chose de quasiment surréaliste.

Néanmoins, comme nous le rappelle constamment la caméra de Renaud Barret et de Florent de La Tullaye, Kinshasa, où commence le documentaire, n’a rien du pays imaginaire d’un quelconque conte de fées ; des gamins faméliques arrêtent les voitures au beau milieu de la route pour mendier quelques pièces, et les petites comme les grosses embrouilles peuvent éclater à tout moment. Ici le sort s’acharne impitoyablement sur tous ceux qui tentent justement de se battre contre la fatalité.

On voit dans le film la mère du jeune Roger lui mettre sur les épaules une pression monumentale juste avant son départ, lui disant, en somme, que s’il ne réussissait pas à faire carrière en Europe, alors elle mourrait car, à travers la réussite de son fils, la musique représente pour elle l’espoir d’une vie meilleure ; l’argent c’est la nourriture, le logement, les soins élémentaires… quand Ricky, l’inébranlable pilier du groupe, monte sur scène, il est là autant pour partager la musique qu’il aime que pour pouvoir offrir à sa famille une vie décente, pour les sortir de la rue où ils dorment depuis que le centre pour handicapés qui leur servait de toit a brûlé.
Ces quelques scènes sont autant de petites taches corrosives au goût acide de triste réalité qui, dans un sursaut de consternation, nous rappellent ce que vivent au quotidien les musiciens congolais. On se souvient alors qu’il existe des situations dans lesquelles « jouer » de la musique est bien plus qu’un simple amusement.

Chaque concert prend alors des allures de test décisif qui aura un impact capital sur la suite de leur carrière, et donc de leurs vies. On a avec eux le sentiment qu’au moindre faux pas, au moindre coup de malchance, l’aventure pourrait s’achever et se solder par un insupportable retour à la case départ. Si leurs performances scéniques sont aussi remarquées, c’est donc aussi peut-être parce qu’ils vivent chacune de leurs prestations comme un enjeu décisif ; une attitude qui produit, pour eux comme pour les spectateurs, des concerts inoubliables, et qui dégagent une force vive que peu de groupes dont les membres sont nés dans l’opulence pourraient comprendre.

La motivation pécuniaire comme ultime moteur de l’accomplissement scénique ? A méditer. Mais quoiqu’il en soit, la mère de Robert, bien qu’elle désapprouve ses velléités musicales, peut se rassurer, car son rejeton a un bel avenir devant lui. Prodige autodidacte du satongé, un instrument qu’il fabrique lui-même avec une boîte de conserve, un bout de bois et un morceau de fil de fer, il s’enflamme dans des solos vertigineux en se roulant par terre à la Jimi Hendrix et vole, l’espace de quelques instants, la vedette à ses aînés. A la fin du film, Ricky, avec ce ton mi-grave mi-insouciant qui lui est propre, lui annonce que c’est lui qui reprendra le flambeau après sa mort. Une manière de sceller la relation fusionnelle entre les deux musiciens.

Ce qui fait la particularité de Benda Bilili ! Dans le genre documentaire, c’est que les réalisateurs sont également les acteurs invisibles des évènements qu’ils filment. Si on n’a jamais le privilège de les voir à l’écran et qu’ils sont vocalement plutôt effacés (s’écartant ainsi du vieux style en voix off omniprésente), leur implication humaine et matérielle dan la cause du groupe transparaît à chaque étape de l’ascension des Congolais : ils sont les premiers à emmener le Staff en studio et à les présenter à une maison de disques, ils sont ceux qui introduisent Ricky à son jeune alter ego et, surtout, ils sont ceux qui, avec ce film, leur offrent une visibilité qu’ils n’auraient pas pu espérer atteindre sans cette ouverture providentielle de la quinzaine des réalisateurs à Cannes.

Kinshasa, au long de ce documentaire, apparaît comme une gigantesque cour des miracles dont la pauvreté n’a d’égal que les trésors cachés qu’elle recèle. On peut y trouver absolument tout, le meilleur comme le pire, et Benda Bilili ! N’est sans doute qu’un premier pas vers la reconnaissance culturelle d’une scène qui ne demande qu’à s’épanouir. En jouant sur leurs instruments de récupération (satongé rouillé, basse à une corde, guitares moisies), ces anti-héros du ghetto sont parvenus à transformer le plomb en or et à prouver qu’il n’était pas nécessaire d’avoir une Gibson pour faire de la bonne musique. Pour eux aussi ce film n’est qu’un premier pas, mais on ne se fait pas de souci pour leur avenir, ils sont sur de bons rails.

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