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Love is Strange_Extraits Crtitiques

Love is Strange, qui parle de transmissions entre différentes générations à l'intérieur d'une famille et d'un groupe d'amis, s'adresse aussi à différentes générations de spectateurs.


Vous soulevez un point très intéressant parce que c'est précisément l'une des raisons qui m'a poussé à faire ce film. Pour moi Love is Strange est un film familial tout ce qu'il y a de plus classique. Le film parle de problèmes que rencontrent toutes les familles, et pose la question : qu'est-ce que cela veut dire de grandir, de vieillir ? Mais aux États-Unis, la situation est très compliquée, puisque concrètement, les enfants n'ont même pas le droit d'aller le voir sans leurs parents (lors de sa sortie, le film a été interdit aux spectateurs de moins de 17 ans non-accompagnés, pénalisant ainsi son exploitation en salles, ndlr). Ça m'énerve. J'en retire un sentiment de grand gâchis. Pour moi, Love is Strange est autant réservé aux adultes que Miracle sur la 34e rue.


Quelle a été l'explication officielle pour cette interdiction ?

Officiellement : deux Motherfucker et sept fucks.


Et vous croyez que c'est officiellement la vraie raison ?

(Soupir) … Je crois que le comité de classification a effectivement une liste de critères qui lui permet de refuser un visa d'exploitation s'il le désire. Je crois aussi que cela permet d'avoir une excuse toute prête de « punir » un film avec un contexte gay, s'il le désire. Même si heureusement, cela n'est pas automatique. Ils disent qu'en l'occurrence, c'est une question de langage, mais c'est clairement une question de contexte. Je ne suis pas dupe.


Vous dites que Love is Strange est un film familial tout ce qui a de plus classique. Vous redéfinissez pourtant ce qui compose une famille classique… Vous dites que classique…

Mais c'est quoi une famille classique ? Je ne tenais pas à tout prix à prendre le contrepied, ou à avoir l'air le plus moderne possible. Je voulais juste parler de certaines familles, telles qu'elles existent aujourd'hui. Tolstoï le disait déjà : « toutes les familles heureuses se ressemblent » (rires) ! Pour revenir au titre du film, il ne faut pas prendre le mot strange dans un sens négatif. Pour moi strange veut dire unique, différent, magique, et privé. Pour moi, la différence et l'unicité, c'est merveilleux. La famille du film ressemble beaucoup à ma propre famille, et là-dedans j'inclus ma famille biologique et ma communauté. Aux États-Unis on parle volontiers de chosen family. J'ai toujours été fasciné par la manière dont chacun d'entre nous est défini par l'addition de plusieurs identités : à la fois en tant qu'individu, en tant que membre d'une famille et membre d'une communauté. La manière dont ces trois paramètres interagissent, c'est la base même de toute dramaturgie. Je passe toujours de l'un à l'autre, de notre image publique à notre image privée. C'est pour ça que mes films se focalisent souvent sur un état d'entre-deux. Je filme les moments entre les moments-clés : entre deux portes, dans des voitures…. Je filme des moments de pause. Je dirais peut-être même que je cherche avant tout à faire des portraits.

Entretien réalisé le 15/09/2014 par Film de culte.

« J'ai le sentiment que je serai plus juste et plus profond si je ne mène pas mes personnages à la baguette ! J'aime cette phrase du philosophe juif Philon d'Alexandrie : « Soyez doux car chaque personne que vous rencontrez est en train de livrer une grande bataille », disait-il. C'est la position que j'essaie d'avoir en tant que cinéaste. Dans ma vie de tous les jours, je peux avoir d'autres points de vue. Mais en tant que cinéaste, mon travail est un peu celui d'un psychanalyste… »


... Love is Strange est un film choral. Au centre de tout, il y a bien sûr deux hommes, le couple qu'ils forment, et deux performances d'acteurs, John Lithgow et Alfred Molina. Mais le tableau n'est complet qu'avec tous les personnages. C'est une question de réalisme social, en un sens. Mais j'essaie de faire du réalisme ordinaire un révélateur de l'extraordinaire. Ce qui était l'objectif du néo-réalisme. C'est un registre qui a toujours été important pour moi, une sorte d'intensité en sourdine…


Avec ce film « je voulais parler des générations, des saisons qui se suivent. J'arrive à la cinquantaine, j'observe la génération de mes parents avec tout à la fois un sentiment d'angoisse, de responsabilité et de confusion. Quel est mon rôle ? Je suis là pour m'occuper d'eux, je vois leurs amis mourir. C'est un peu la place qu'a le personnage de Marisa Tomei dans le film, elle est au centre des générations. Elle doit essayer de comprendre à la fois son fils adolescent et son grand-oncle. Je pense que c'est aussi la place du public, en quelque sorte, qui peut se sentir proche de tous les personnages du film. »


« Pour moi, ce qui est actuel dans Love is Strange, ce n'est pas le sujet du « mariage gay » mais plutôt l'optimisme et l'espoir avec lesquels je parle d'amour. C'est mon film le plus lumineux, le plus chargé de ferveur, et c'est pour moi une façon de refléter des changements qui sont intervenus dans la société. Je montre un couple d'hommes très libres avec les gens qui les entourent : ils peuvent partager beaucoup avec eux et se montrer tels qu'ils sont. Les choses étaient différentes, il y a vingt ans. Mes autres films parlaient de ce qui est caché, de ce qui est destructeur, et ça correspondait vraiment à une vérité pour ma génération. Les choses ont changé. Je le montre à travers ce film qui parle des différentes possibilités de l'amour et du fait que l'amour peut durer. Je ne ressentais pas cela avant.

Entretien (extraits) avec Frédéric Strauss

(Télérama : 12/11/2014)

PROPOS DU RÉALISATEUR