Les trois soeurs du Yunnan_synopsis
Jeanne et le garçon formidable_Synopsis
Les trois soeurs du Yunnan_Propos du réalisateur
Jeanne et le garçon formidable_Propos des réalisateurs

EXTRAITS CRITIQUES

Jeanne et le garçon formidable (quel beau titre !) est un film qui ne laisse aucun doute : Ducastel (le réalisateur) et Martineau (le scénariste) élèvent le cinéma de Jacques Demy au rang de genre. Désormais, après Jeanne…, on pourra dire d’un film que c’est un "demy».(.) L’affaire est rondement menée, dès les premiers plans dans l’immeuble de verre où travaille Jeanne comme standardiste. Les numéros, chansons (belles musiques de Philippe Miller, qui a eu l’intelligence de ne pas chercher à imiter Michel Legrand), danses s’enchaînent avec une évidence, une joie, une impudeur très toniques .(…) Virginie Ledoyen, ce n’est pas une surprise, est purement et simplement magnifique de liberté, d’énergie, de subtilité et de poésie. Grâce à elle et à son jeu, tout sonne juste, tous les rouages tournent, tous les enchaînements passent comme une lettre à la poste. Elle entraîne le film dans un tourbillon de sensualité qui vous laisse groggy et qui l’élève au statut dangereux mais envié de sex-symbol. Mathieu Demy est un garçon formidable parce qu’il n’est pas le plus beau et, Jacques Bonnaffé, dans un rôle de militant d’Act-Up sans illusion et déchiré, crève l’écran. Une mention spéciale pour l’épatante et sympatoche Valérie Bonneton (la sœur de Jeanne), qui réussit à allier l’humour, la classe et la fantaisie comme personne, et à l’étrange et rohmérienne Emmanuelle Goizé (la libraire), qui se lance sans complexe, sans vergogne et à corps perdu dans une danse farfelue et osée. Le temps d’une chanson, elle réussit à affirmer que ridicule et sincérité coïncident et sont beaux parce que vibrants.   O. Niklaus, les Inrocks, 130/11/1997


     Elle travaille comme standardiste dans une agence de voyages. Peut-être est-ce de la voir si épanouie qu'au moment de partir les employés semblent lui chantonner « Bon week-end ». Et c'est de la voir si bien dans sa peau que les ouvriers chargés de l'entretien improvisent, après la fermeture, un ballet où elle se coule un instant, corps collé contre celui de son danseur, avant de s'envoler ailleurs. Toujours pressée. Toujours en retard. Jeanne aime les mecs. Leur corps. Leurs caresses. Leurs mots d'amour qui, elle n'est pas dupe, ne riment pas avec toujours. Et puis, soudain, dans un métro, la voilà qui tombe amoureuse. Littéralement. En tombant sur les genoux d'Olivier. Elle se confie à sa sœur dans un restaurant chinois : « Ce garçon, il a les yeux si tendres, quand il sourit, je ne m'appartiens plus. A son désir, il faut que je me rende, je ne sais pas comment sans lui j'ai vécu ! » Comme pour célébrer la nouvelle, tout le restaurant s'anime. Les deux sœurs esquissent une danse en tenant en l'air leur plateau. Et la serveuse, de sa voix aiguë, module des « Tsing Tao, Tsing Tsing »... Voilà : on est donc bien dans une comédie musicale. Dans un monde où ce ne sont plus seulement les mots, mais les notes de musique et les ballets qui expriment les sentiments. En l'occurrence, le bonheur de Jeanne d'avoir rencontré un garçon formidable. Mais on sait bien que la vie sépare ceux qui s'aiment et l'on sait aussi qu'une comédie musicale, ce n'est pas forcément gai. La guerre d'Algérie éloignait Geneviève de Guy (Les Parapluies de Cherbourg). Et François Guilbaud mourait dans les bras d'Edith de Nantes, frappé par un CRS après une manif organisée par des ouvriers en grève (Une chambre en ville). Nous sommes dans les années 90. L'ennemi, c'est le sida. C'est lui qui jouera le rôle du destin. C'est lui qui séparera les amants. Olivier est séropositif. Il l'avoue à Jeanne, mais sur un air de java. Ce pourrait être grotesque. C'est beau, au contraire, car ces mots si graves sur ce rythme si enjoué créent, soudain, une émotion qui refuserait qu'on la prenne trop au sérieux. Bref, on est proche de l'esthétique et de la morale de Jacques Demy  Pierre Murat, Télérama, avril 1998


     Jeanne est un film sans papier, sans abri, sans identité, sans précédent, qui sait faire de toutes ces privations une revendication rageuse. Autrement dit, un film qui a su rendre sa colère intelligente et joyeuse sans qu'elle cesse pour autant d'être dérangée et dérangeante.(.) Quelle que soit la résurrection récente de la comédie musicale (de nouveau On connaît la chanson, comme l'a dit Alain Resnais), ça n'est toujours pas croyable de se mettre à chanter comme on respire. Sauf qu'ici chanter permet de respirer, donne de l'air quand on n'a plus de souffle, des paroles de secours lorsque les mots tombent en panne. Échappatoire et soupape, irruption de l'anormal et surprise de l'altérité. Et c'est ainsi que la java convient pour exprimer le blues du séropo. Et c'est ainsi que le musette d'un accordéon s'impose, sur l'air de «Que sont mes amis devenus?», lorsque François (le définitivement impeccable Jacques Bonaffé), militant d'Act Up et «veuve de 100 ans», confie à Jeanne que «la vie réserve des surprises». L'univers de Demy. C'est sûrement ces nécessités radicales qui conjurent les dangers majeurs de ce genre de sujet: pathos, compassion, pitié. S'il y a souvent de quoi pleurer, notamment quand Jeanne déclare son amour fou à Olivier, on n'a jamais ni honte ni affection pour ses larmes). (.)Lorsque son amant malade disparaît de la circulation avant de disparaître tout court, Jeanne comble ce temps volé par un trop-plein d'espace dérobé. Puisque le monde a décrété qu'il n'a plus besoin d'elle pour exister, c'est elle qui décide qu'elle a besoin de monde pour vivre. Gérard Lefort, Libération, avril 1998